Pinar del Rio

         rond006 Mardi 5 Février 2019.

           Ce matin départ  de La Havane à 8 heures en direction de Pinar del Rio, distant de 150 kms. Félix empruntant l’autoroute, les kilomètres défilent rapidement, lorsqu’un peu avant cette ville, il prend à droite en direction d’une ferme :

             * La « Finca Montesino  ».  (point N° 16 carte itinéraire)



           Cette région  abrite, grâce notamment à son microclimat très efficace pour cette culture, les plus célèbres plantations de tabac de l’île. Maxwell nous laisse quelques minutes découvrir les animaux de la ferme, j’éprouve de la pitié pour ce pauvre petit cochon qui dans quelques mois finira embroché, puis grillé pour un grand repas de famille, j’admire ce paon qui me fait une belle roue, mais ne se montre que de dos.

           C’est Mr Aulojeo Montesino qui nous accueille en tant que propriétaire de cette finca. Cet agriculteur, chapeau vissé sur la tête appartient à la 3ème génération d’une famille réputée dans le monde du tabac,  famille qui produit l’un des meilleurs tabacs de l’île,  faits avérés exacts si l’on regarde de près les coupures de presse, les diplômes et même les félicitations de Fidel Castro venu en personne, qui tapissent les murs de la maison.  Pour Mr Montesino, la tradition familiale est un critère de réussite, n’a-t-il pas eu la chance d’être élevé, dès son berceau, au milieu des champs de tabacs, entouré d’ un père et d’un grand-père !


            Quelques mots sur les origines du cigare : Lors de la découverte de l’île par Christophe Colomb, les espagnols constatèrent que les indiens fumaient déjà le cigare, mais selon un rituel : le cohoba (cérémonie au cours de laquelle les graines moulues étaient inhalées dans un tuyau en forme de Y) rituel invoquant les dieux. Le tabac fut importé en Espagne, mais y devint vite interdit, certains y voyant dans sa fumée un phénomène diabolique, les premiers fumeurs de cigare furent même jetés en prison. Le tabac allait malgré tout devenir en vogue en Europe, les Espagnols obligeant les fermiers cubains à leur vendre leur récolte, créant par la-même un monopole.


          La vaste exploitation comprend 15 ha de terre, dont 10 sont consacrés au tabac, d’ailleurs à perte de vue on ne voit que ça, parallèlement l’agriculteur cultive du maïs, des haricots, a cela il a rajouté une activité diversifiante et sans doute lucrative : le tourisme. Mr Montesino nous explique les rudiments de cette culture, allant du semis de la graine à l’expédition des feuilles séchées à la coopérative d’Etat qui le rémunère selon la qualité du produit. Tout ici est fait à la main, semence et arrachage, car le poids d’un tracteur tasserait trop la terre, la fragiliserait.

           « Nous préparons la terre pendants les mois de juillet et aout, pour un ensemencement en Septembre » dit l’exploitant.

            * La plantation :  Le tabac provient de petites graines rondes et dorées fournies par l’Etat et de si bonne qualité qu’elles sont réclamées dans le monde entier. En Septembre soit environ 45 jours après le semis, commence la plantation des jeunes plants, cette  opération peut être échelonnée jusqu’à fin Décembre, pour faciliter les travaux. Pour couvrir la superficie de l’exploitation, ce sont environ 140 000 plants qui sont ainsi plantés. Et la nature fait alors son œuvre, quoique la récolte du tabac est une opération délicate et laborieuse qui réclame  tout de même une surveillance  permanente, afin d’éviter les maladies qui pourraient attaquer les plants.

           Une des principales conditions pour obtenir une bonne récolte : la chaleur des rayons du soleil qui impactera positivement le goût et l’aspect des feuilles, la pluie est sa pire ennemie. Cette nature est aussi aidée par la  fertilisation,  l’irrigation et un binage manuels,  c’est ainsi que 50 jours plus tard le plant atteint entre 1,50m et 1,80m de haut et porte une douzaine de larges feuilles, de quoi fabriquer une demi-douzaine de cigares. La récolte a lieu 50 jours plus tard, les feuilles vertes sont alors transportées aux hangars dont dispose l’exploitation.


            * Les différentes étapes de séchage des feuilles : Nous sommes début Février, la récolte vient de débuter, et ce sont dans ces hangars que nous rencontrons ces femmes qui assemblent par 200  ces feuilles à l’aide d’une longue aiguille enfilée, une feuille du coté droit, une du coté gauche. Ces paquets ainsi constitués sont alors mis à sécher jusqu’en Mai,  sur des perches dans ce bâtiment appelé « séchoir » ou « fumoir »  les feuilles passent alors du vert clair au marron. Ce sont les hommes de l’exploitation qui positionnent les perches là-haut au ras du toit.

            Dès fois qu’on n’aurait pas bien comprit le processus, Maxwell nous en fait la démonstration, il ne manquerait plus qu’il tombe ! on serait alors dans de beaux draps !... Les feuilles présentant un stade avancé de déshydratation occupent les niveaux supérieurs et vice-versa. Une fois sèches  ces dernières sont humidifiées puis suspendues pour éliminer l’excès d’eau, c’est lors de cette opération de fermentation  qui dure une quarantaine de jours, que les feuilles concentrent leur arôme, éliminent toutes les impuretés, baissent leur taux de nicotine.

           C’est après une ultime période de mûrissement à une température de 16°, où aplaties elles sont placées dans une armoire, que les feuilles sont expédiées à l’Empresa de Apocio y Benaficio del Tabaco, Coopérative d’Etat qui rémunère Mr Montesino après avoir pesé et vérifié la qualité de sa récolte, mais avec sa réputation, ce dernier n’a pas trop de soucis à se faire.  La finca produit  50 tonnes par an, ce qui lui permet de rétribuer, en plus de sa famille, les 5 femmes et 10 hommes qui y travaillent.

           Les feuilles qui passent dans les mains de ces femmes, serviront à faire la tripe, le cœur du cigare. Quant à la cape, cette feuille extérieure qui donne au cigare son aspect velouté et sa couleur, son plan est cultivé ailleurs à l’abri, ses feuilles sont plus grandes, plus larges, de quoi  recouvrir entièrement le cigare. Les feuilles que les femmes ne gardent pas, car trop petites, seront envoyées à l’Industrie qui les travaillera mécaniquement, en faisant des petits cigares.

            La rencontre avec ces souriantes dames qui, l’aiguille à la main font leurs paquets est très intéressante, dommage que la barrière linguistique empêche toute communication. Je regrette toutefois ne pas avoir aperçu quelques hommes dans les champs en train d’arracher ces feuilles, il y avait pourtant de quoi faire ! Est-ce indissociable à la  visite d’un étranger ?

    

 

           Dans la maison, une pièce a été  aménagée pour présenter les cigares et leur élaboration, activité qui n’est normalement pas effectuée par la plantation mais dans la manufacture située en ville, on y voit tout ce qu’un torcedor a besoin pour réaliser un cigare : les trois  feuilles qui roulées vont composer la tripe du cigare, la presse, la « guillotine » ce couperet qui détermine la longueur. En principe une finca doit vendre intégralement sa récolte à l’Etat, mais Mr Montesino, du fait de la bonne qualité de son tabac, a reçu l’autorisation de l’Etat de s’en réserver une partie et de pouvoir ainsi fabriquer ses propres cigares, sous l’appellation « Cohiba » la meilleure marque de Cuba, il va sans dire !

          Les murs sont recouverts d’articles élogieux sur la ferme, de cartes de la région, de photos, de diplômes, d’un dessin des calibrages, d’un tableau représentant l’exploitation, etc…  Dans la pièce à coté, des rocking-chairs  me tendent leurs bras pour une petite pause !

          Une jeune femme, la fille de propriétaire ? nous offre une tasse de café, café cultivé dans les environs. Un peu plus loin, une autre femme, sa mère ? propose un verre de Guayabita del Pinar, au prix de 3 CUC le verre, cette liqueur, spécialité locale, est crée à la Casa de Garay, avec une petite goyave qui n’est cultivée que dans les montagnes de Pinar el Rio, du rhum et des épices. « Hum !...fumer un cigare puis boire aussitôt un verre de Guayabita, vous verrez, le goût de ce mélange dans le palais est un délice ! » nous dit Maxwell. Si après cette information qui se veut convaincante, vous n’achetez pas tout le stock !

    


          Maintenant arrive le moment attendu par plusieurs d’entres-nous  : combien valent ces cigares ? Maxwell aurait pu être commercial, tant il en fait la  promotion, donnant le prix en boutiques d’Etat et le prix pratiqué ici qui est trois fois moins cher. « Alors n’hésitez pas, mes amours, achetez ici ! » Le paquet de 23 cigares, non bagués, conditionné dans un simple plastique coute 80 pesos. Le gros cigare qu’il est en train de fumer est proposé au tarif de 10 pesos. «  Si un cigare est bon, nous dit Maxwell, les cendres resteront dans le cigare »

           « Au-revoir, Mr Montesino, la découverte  de votre ferme de tabac fut un vrai plaisir, mais il nous faut aller de l’avant. »  Félix nous amène maintenant à :

                La manufacture Francisco Donatien, située à  Pinar el Rio. C’est un bel édifice à arcades du 19ème siècle qui nous accueille, cette ancienne prison où Batista faisait enfermer ses opposants est devenue depuis 1961 une manufacture de tabac réputée.

           Grosse déception, il nous faut laisser sacs à main et appareils photos dans le bus.  Peut-être que les autorités  ont peur que les occidentaux copient ce savoir faire, ou  encore craignent ils qu’un touriste dénonce publiquement les conditions rudimentaires de travail de ces torceros ! Les trois photos ci-dessous ont été « piquées » sur la toile, comment ces gens y ont-ils réussi, mystère ! J’ai toutefois réussi à choper l’édifice depuis l’intérieur du bus, mieux que rien !




            La visite, ultra rapide, se fait en longeant un muret qui nous sépare des ouvriers, depuis celui-ci je peux voir ces hommes et ces femmes assis par rangées de quatre, devant leur atelier, exécutant avec rapidité et dextérité un grand nombre de cigares de taille et poids absolument identiques. Autrefois pour tromper l’ennui, un lecteur lisait des romans, tels que « Roméo et Juliette » aujourd’hui modernité oblige, les cigariers écoutent la musique qui sort d’un vieux transistor.

           Cette manufacture comprend 70 ouvriers spécialisés, ceux-ci ne travaillent pas à la chaîne, mais réalisent un produit fini, chacun est responsable de sa production, du début à la fin. Auparavant la Coopérative d’Etat, via les plantations, leur a fourni la matière première nécessaire : les feuilles qui serviront à la tripe, la sous-cape et la cape.

           Quoique ce travail de rouleur de cigare peut nous paraître simpliste, c’est tout le contraire, en effet, le torcedor met souvent de nombreuses années à parfaire sa maîtrise de l’art de rouler le cigare, haut-niveau de savoir-faire, de précisions. Cette profession est si honorable qu’elle a été inscrite en 2012 au patrimoine culturel national cubain.

            Le torcedor commence par ôter la nervure médiane, tige qui sera utilisée pour fabriquer un parfum au nom de « tabac » puis il élabore son cigare en posant tout d’abord sa sous-cape sur son plan de travail, ensuite il trie les feuilles selon la position qu’elle avaient sur le plan, celles du sommet : ligero, du milieu : seco et du pied : velado, l’arôme viendra du ligero qui a le plus profité du soleil, le seco ajoute de la force, le velado permet la combustion.

           De cet assemblage personnalisé sortiront un arôme et une saveur unique,  une fois ces feuilles découpées en une large bande au moyen de la chaveta (lame recourbée), elles sont roulées, pressées, l’ensemble est alors recouvert de la cape, calibré,  coupé avec une « guillotine »  pour obtenir la bonne taille puis collé avec de la colle végétale. Le cigare terminé, le torcedor mesure son diamètre et sa longueur à l’aide d’une machine à calibrer.

            L’ouvrier, rémunéré à la pièce fabrique, selon la taille, entre 100 et 140 cigares par jour. Selon l’expérience, le doigté, il peut gagner jusqu’à 400 pesos cubains, pour une journée de huit heures, six jours par semaine. Chaque cigare passe ensuite  un par un le contrôle de qualité, de poids, de taille, s’ils sont reconnus aptes à la vente ils seront emballés dans une petite boite et vendus par 25. Si le comptable de la manufacture estime avoir fait une bonne exportation, chaque ouvrier peut recevoir quelques CUP supplémentaires.

            Le cigare fait à la main se compose de feuilles de tabac entières, tandis que le cigare fait à la machine est constitué d’un mélange de feuilles découpées, dont les plus petites. Les cigares sont de différentes tailles (gros, moyen, petit) de diverses formes, et de saveurs différentes : moins âpre, plus corsé, moins fort et plus léger. Les cigares cubains faits à la main sont meilleurs lorsqu’ils ont un peu vieilli, et plus le cigare est gros, plus il aura de saveur.

            Chaque année à lieu à la Havane le festival international où sont présentés les nouveautés et les plus célèbres cigares du Monde (uniquement ceux fabriqués à la main). Ce festival est un haut lieu de promotion, malgré les récentes lois interdisant le tabac dans les lieux publics, la consommation du cigare ne faiblit pas, elle est même plutôt en pleine essor, beaucoup de pays viennent au festival pour y signer des contrats. Aujourd’hui le tabac rapporte annuellement 500 millions d’Euros à Habanos S.A. société mixte contrôlée pour moitié par l’Etat cubain. Il est dit qu’en cas de levée de l’embargo, plus de 250 millions de dollars de cigares pourraient être exportés vers les Etats-Unis.

           Le torcedor est autorisé à fumer 2 cigares par jour, mais bien souvent il les garde pour les revendre, car lorsqu’il pleut de trop, la manufacture ne travaille pas, l’humidité n’étant pas bonne pour les feuilles qui sont alors stockés dans un lieu sec. Pas de travail, pas d’argent ! car je ne crois pas avoir entendu parler à Cuba de « de chômage technique, avec indemnisation » Il peut aussi en apporter cinq chez lui.

           Il faut aussi savoir qu’ici dans l’île, un bon rouleur de cigare peut gagner autant dans un mois qu’un médecin, hallucinant !

           Je suis un peu restée sur ma faim, après cette visite ultra-rapide (un quart d’heure) de cet atelier où il n’est pas permis de prendre des photos. Que craignent les autorités de la part de ces  retraités, qu’à nos âges, on va se lancer dans la production bien compliquée de la culture du tabac et de la fabrication du cigare ! Puuuff ! Maxwell aurait peut-être pu demander une exception, d’autant qu’il n’y avait alors que nous, bon c’est ainsi, c’est la loi, tu y obéis !

           Nous finissons, il va sans dire, dans le magasin attenant, où sont vendus les cigares fabriqués ici, petits, gros, courts, longs, de toutes marques, emballés dans de jolis coffrets de cèdre. Que c’est tentant, mais c’est là que tu vois l’idiotie de la situation, car si personne n’a d’appareil photo, la consigne de laisser sacs à main dans le bus a pour effet que nous n’avons pas non plus de porte-monnaie, donc !...

          Le voyage se poursuit désormais par la découverte de la verdoyante « Valle de Los Vinales »

          A tout de suite !

       Vallée de los Vinales.