rond006 Vendredi 25 Janvier 2019

          Il est 8h30. Je suis fin prête à affronter de longues heures de bus, dans le but de rejoindre Baracoa, via Guantanamo, la température est alors de 25°.

           La route empruntée par Félix est bordée de champs de canne à sucre, de bananeraies, parfois je vois un attelage de bœufs. C’est pour moi une surprise que de découvrir ce que sont les « transports en communs » utilisés par les Cubains : camions bondés qui peinent dans les côtes, inconfortables et où il fait particulièrement chaud ou carrioles à cheval pouvant transporter entre 4 et 6 personnes, ces carrioles pouvant faire aussi office de taxis.

          En ville et en région touristique, les habitants peuvent compter sur l’omnibus, qui va d’une ville à l’autre, mais dans les campagnes c’est une toute autre histoire, c’est stop ou covoiturage. Sur le bord de la route, il est possible de voir l’amarillo (préposé à la circulation habillé en jaune, payé par l’Etat) personne qui organise les files d’attente. Hé bien, je leur souhaite bon courage !.... car ces gens peuvent attendre 2 à 3 heures avant de pouvoir monter dans une voiture, l’amarillo arrête un véhicule, lui demande sa destination, compte combien il dispose de places, et hop : fait embarquer son monde.

          Et nous qui avons 16 places non occupées ? Non, répond Maxwell, les bus de tourisme sont en dehors de ce système, ils n’ont pas l’obligation de prendre des voyageurs. C’est un peu dommage, ça aurait donné du piquant au voyage, mais quelques sueurs froides à Maxwell quant à la gestion du temps.

          La montagne se dessine au loin, la Sierra Maestra, si chère à Fidel Castro et Che Guevara, dont le point culminant est le Pic Turquino (1974m) La végétation y est dense,  on y voit des plantations de café, de cocotiers, d’ananas, des bananeraies, des immenses champs de canne à sucre. La canne est coupée entre Décembre et Mai, travail désormais effectué, non plus par l’homme, mais par des machines.

          Félix nous dépose le temps d’immortaliser la pancarte annonçant la ville de Guantanamo.  A cet instant quatre garçons marchent sur le bord de la route,  un linge blanc sous le bras, Après que Maxwell leur ait dit quelques mots, les jeunes nous dévoilent leurs précieux trésors, deux  jeunes coqs, j’en ai des frissons rien que de penser à la destinée tragique de ces jeunes poulets ! le combat, tiens pardi !...   Notre guide  leur donne savons, gels douche, shampoings, que nous avons, à sa demande, récupérés à l’hôtel Melia de Santiago, au moins ça fera des heureux.

          Et Maxwell raconte… raconte… Vous connaissez l’histoire de la chanson « Guantanamera » ? Non !...hé bien je vais vous la narrer en quelques mots.

          Utilisée aujourd’hui comme symbole national, c’est une chanson lente cubaine, une guajira, qui fut composée en 1928 par José Fernàndez, sur laquelle furent posés des vers du poète et héros José Marti. Guantanamera signifie « les filles de la ville de Guantanamo » Guajira «  les paysans » Cette chanson romantique raconte l’histoire d’un paysan tombé amoureux d’une jeune fille fière de Guantanamo, qui ne répondit pas à ses attentes.

Guantanamo

           Lorsque nous descendons du bus pour la pause de la mi-matinée,  en passant près de Félix, nous voyons intrigués qu’il remplit des carnets entiers de notes. Il doit tout inscrire sur une feuille de papier, l’heure du départ, où, quand et combien de temps on s’arrête, le nombre de ceux-ci. A l’entrée de chaque ville il doit présenter son carnet à un policier qui lui demande sa destination et combien de personnes il transporte. Employé par l’Etat, ce compte-rendu est obligatoire.

           Cette pause pour boire un café, se dégourdir les jambes, aller aux toilettes, a lieu dans un hôtel de Guantanamo, là comme partout dans Cuba, un groupe y joue de la musique, Maxwell nous présente le chanteur comme étant le meilleur de l’île, tiens donc, mais c’est qu’il en a des copains, notre guide  ….

          Les toilettes à Cuba. Ces « bânos »  sont souvent couplés dans les restaurants et les hôtels,  avec à coté un petit lavabo. La hauteur des portes laisse entrevoir tête et chevilles.  La plupart du temps, la chasse d’eau ne fonctionne pas, soit on a un broc à coté, soit c’est une femme, qui après chaque personne, son seau d’eau rempli, nettoie les toilettes. Sinon, ne pas oublier le pourboire, et qui n’est pas donné  comparé aux salaires des locaux (plus cher que dans nos gares régionales !  )

           Dans le hall de cet hôtel, une grande carte de la région de Guantanamo, (point N° 3 carte itinéraire) Maxwell en profite pour nous parler de cette base américaine qui les dérange fortement. Moi personnellement, le nom de Guantanamo me faisait plutôt penser aux prisons aux conditions inacceptables.

           En 1901, les Etats-Unis, venus au secours de Cuba, lors de la guerre contre l’Espagne qu’ils gagnèrent, imposèrent à la République cubaine l’installation d’une base navale dans la  baie de Guantanamo, la condition pour accéder à son indépendance. Le territoire américain occupe 117 km², il compte infrastructures militaires, aéroports, lieux de culte, supermarchés, cinéma en plein air, bars et McDo, l’ensemble est protégé par 27 kms de clôture. Ce sont plusieurs milliers de militaires et leurs familles qui y vivent. Ce territoire est interdit aux cubains mais permet aux Américains un droit d’ingérence dans la vie politique et militaire cubaine. La concession a perpétuité a été depuis convertie en bail de 99 ans, ainsi Cuba devrait récupérer son territoire en 2033.




           Depuis les attentats du 11 Sept 2001, et la guerre contre l’Afghanistan, les Américains y entassent plusieurs centaines de prisonniers, dans des conditions de vie bien souvent décriées par la Ligue des Droits de l’Homme. Ce sont, pour la plupart, des musulmans qui ont combattu les troupes américaines qui sont enfermés dans ce bagne sous très haute sécurité, au nom de « l’état de guerre contre le terrorisme » décrété par l’administration Bush. Obama a tenté sans succès de faire fermer cette prison, quand à Donald Trump, il entend bien la conserver.

            Avant la révolution 1000 cubains y travaillaient, aujourd'hui ils ne sont plus que quatre à bosser dans les entrepôts, payés 1 dollar par jour, ils entrent et sortent librement de ce camp

           Lorsqu'on lui pose la question " Mais Fidel Castro, n'a pas essayé de les déloger ? " Maxwell répond que personne n'a pu, ni ne peut changer les termes d'un traité, pas plus Fidel Castro que son frère Raoul, ou le président actuel, il faudra attendre que le bail des 99 ans soit révolu pour espèrer voir changer les choses.

            S’il fait beau, si le policier n’est pas là pour nous l’interdire, si…. si….si !... on ira au belvédère Gobernadora, d’où on devrait avoir un beau point de vue sur ces installations qui sont tout de même situés à plus de 15 kms à vol d’oiseau.

            De retour au bus, Maxwell  continue de raconter !

           Mais pourquoi donc Felix s’arrête-t-il si souvent au beau milieu d’une route ?  c’est qu’il doit s’arrêter au panneau « Pare »  (stop) regarder s’il ne vient pas un éventuel train, car les rails sans aucune protection pour la population traversent les villes, les villages, les champs, les routes. Heureusement pour nous, Félix est un très bon et prudent chauffeur.

            Si dans son pays, le cubain avec un salaire minimum mensuel d’une quinzaine de pesos, soit environ 14,50€ ne rencontre pas de grande difficulté pour vivre, le coût de la vie y étant extrêmement bas, et de nombreux petits métiers existant, il n’a pas la possibilité financière de sortir de son pays, le peso cubain n’ayant aucune valeur. Le coût du passeport est d’aujourd’hui 120 CUC, oui j’ai bien dis 120 CUC soit 8 mois de salaire minimum, sans oublier des éventuels frais de visa. Certains pays comme le Panama, l’Equateur, la Russie n’exigent pas de la part du cubain un visa. Les congés sont répartis en deux semaines tous les 6 mois. 

            Les plus hauts salaires sont pour la police et les militaires qui arrivent à gagner 40 à 50 CUC par mois. Le cubain qui a réussi à s’installer à l’étranger aide sa famille. Comparé à La Havane, la capitale qui héberge 3 millions d’habitants, ils sont plus de 3 millions à Miami en Floride, et 7 millions dans le monde entier.

             Les frais de scolarité et de santé sont entièrement gratuits, ainsi que les services funéraires, c’est la raison pour laquelle, Maxwell nous confie qu’il aimerait beaucoup visiter la France, mais ne veut mourir qu’ici à Cuba, dans son pays.

             Il n’y a pas d’usine pour la fabrication de voitures, elles sont importées de Corée, des Etats-Unis, de Chine, du Japon, d’Allemagne …..

             « Allez mes amours, ici on s’arrête, on va voir les danses du centre culturel de la Tumba Francesa Pompadour »

            La tumba francesa est née avec l’arrivée à Cuba de propriétaires fonciers français, qui pendant la Révolution haïtienne de 1791 se sont enfuis avec leurs esclaves. Ces propriétaires émigrants leur ont permis de pratiquer  leurs traditions haïtiennes, à travers danses et fêtes. A la suite de l’abolition de l’esclavage en 1886 et la migration urbaine des affranchis qui recherchent du travail, les sociétés de Tumba francesa voient le jour dans plusieurs villes.

           Les danseuses portent des fins châles, des mouchoirs de soie, des colliers, des boucles d’oreille, ainsi que de longues robes de style colonial avec sur la tête des foulards africains et dans la main des écharpes colorées. L’homme et la femme se déplacent avec cadence, douceur et élégance, sans lever les pieds du sol. Les musiciens jouent avec trois tambours appelés tumbas, instruments fabriqués dans un morceau de bois creux d’un seul tenant et ornés de motifs gravés et peints.

    

           En novembre 2003,  cette tumba francesa qui a su à travers les siècles préserver ses valeurs fondamentales, a été déclarée par l'UNESCO, Chef d'œuvre du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.


           Une fois leur prestation terminée, ces danseurs nous invitent à les rejoindre, le moment est sympa, puis l’ opération commerciale suit : la proposition à la vente de leur CD.

              Le parque Marti est dominé par la parroquial de Santa Catalina (église)  la patronne de la ville, construite dans la deuxième moitié du 19ème siècle.

            La Primada où nous entrons maintenant est un café cubain, à l’intérieur des affiches expliquent le traitement du cacao. Ici il est possible d’acheter des gâteaux ou de s’offrir un chocolat chaud tout en regardant les allers et venues des guantanameros. Puis nous faisons irruption dans une pharmacie, ça me met mal à l’aise, d’entrer ainsi dans un commerce, de prendre une photo et s’en aller….  mais ça n’a pas du tout l’air de gêner les commerçants.

            Depuis l’église, une courte promenade nous amène à cette fontaine pour le moins curieuse, c’est en quelque sorte un hommage au courage des enfants handicapés qui dans des écoles spécialisées, poursuivent malgré tout leurs études. Ils seraient ainsi 5000 repartis dans 143 écoles, le garçon à la guitare est aveugle,  la fille qui joue de la trompette est sourde et muette, une autre déficiente mentale.

      

 

          

         Lors de mon retour au bus, mon sens auditif est attiré par du bruit  sur la place Marti, ce sont des majorettes qui effectuent une prestation accompagnée par des musiciens. Mais et l’école ? car j’ai vu à plusieurs reprises, des gamines habillées de la même jupe courte, d’un chemisier blanc et de socquettes blanches. Alors pourquoi ces majorettes n’y sont-elles pas ? la réponse à ce sujet de Maxwell est plutôt floue.

 

 

 

  

           L’heure du déjeuner approche, nous nous rendons au Karey, situé en dehors de la ville. Les extérieurs sont jolis, tout la façade est recouverte de clématites fleuries, mais que la salle est petite !.

          C’est là que m’arrive ma seconde émotion, voulant, et ce fut là un tort, laisser la place aux couples et amis, j’attends en me disant « Je prendrais la place restante » mais c’est si serré que de place restante il n’y a point. Que pensez-vous que Maxwell fit !... hé bien il me proposa de m’installer seule !.... sur une petite table à 3 mètres du groupe, je n’ose répliquer mais j’en ai les larmes aux yeux. C'est alors qu'une bonne âme a pitié de moi, Valérie qui n'écoute que son coeur vient me rejoindre, grand merci à toi !  finalement le groupe se serrera encore plus, et toutes les deux nous réintégrons cette table pour partager ensemble ce repas. Mauvais point pour toi Maxwell, deux fois, qui plus est en 24 heures, c’est une de trop !

          "Mais que ce pays est idyllique ! aucun animal sauvage, que des chevaux, des vaches, des lapins, même les serpents n’y sont pas venimeux... Cuba est une destination de grande sécurité, aucun terroriste n’y vit, aucun risque d’attentat, les enfants vont à l'école seuls car i n'y a pas de kidnapping, c’est pourquoi elle est si touristique !..." nous confie Maxwell, avec une grande sincèrité.

           Stoooop… un policier se tient debout en plein soleil, il surveille la circulation à l’endroit exact où il n’y a guère que 15 jours, un accident d’autobus sur la route mouillée a fait 7 morts dont un français. Félix lui montre son carnet, Maxwell lui fait don de sa bouteille d’eau.

           Bouteilles d’eau qui créeront bien des soucis en soirée, car n’achetant que le compte exact et pas une de plus ! il s’avèrera en fin d’après-midi qu’il en manque plusieurs. Quel savon nous a passé Maxwell ! il en appelle à notre responsabilité d’adultes, qu’on n’est plus des enfants…… mais c’est qu’il nous eng....… Bref !! Quoiqu’il en soit, on a vu un Maxwell très en colère  ce qui nous change de ses pitreries et blagues facétieuses à propos de sa belle-mère, pauvre femme, si tant soi peu qu’elle existe !

           A présent nous longeons la mer des Caraïbes, moment un peu impressionnant, car « Caraïbes » évoque à lui seul tant de choses : soleil, chaleur, farniente. Un petit arrêt photo, accompagné d’un ramassage d’un peu de sable, quelques coquillages. Il ne nous sera pas possible de faire trempette car le rivage est formé de dépôts coralliens.

            Et c’est parti pour la traversée de la Sierra del Purial. A ses pieds un vent sec et chaud balaie régulièrement les pentes arides, apparaissent alors des bouquets de cactus, j’y vois même quelques flamands roses au bord d’un lac. Puis Félix emprunte le Viaduc de la Farolo, qui n’est pas un pont au-dessus d’un fleuve comme son nom pourrait le faire croire, mais une portion de route construite en 1964, 150 virages en 35 kms.

           Ce « viaduc » a permis à Baracoa de ne plus se retrouver isolée dans son coin. La route, véritable ouvrage d’art qui a dû être aménagé pour traverser la cordillère qui serpente à flanc de montagne, déborde sur le vide et est régulièrement supportée par des piliers plantés dans la roche. Travail de titan et d’équilibriste, puisqu’il a fallu défricher la forêt, creuser la montagne et poser des plaques de béton sur une quarantaine de kilomètres. Lors de la saison des pluies, de fréquents éboulements bloquent cette route. La principale culture ici est l’ananas, fruits récoltés par les paysans qui les vendent à la Coopérative d’Etat, qui elle-même fournit les hôtels.

          Nous arrivons maintenant dans une zone, le Sud-Est de Cuba, qui a été fortement touchée par les ouragans. L’année 2008 a été tout particulièrement dévastatrice, avec trois ouragans qui successivement ont balayé le pays : Faye, puis Gustav qui est considéré comme la pire tempête depuis 50 ans.  Que ce soit les écoles, les hôpitaux, les récoltes et moyens de subsistance (rhum, tabac, sucre, réserves d’eau potable)  tout n’était que spectacle de ruines et désolation. Ci-contre, palmeraie qui a souffert.

          Alors que les interventions de nettoyage commençaient tout juste, une autre violente tempête, l’ouragan Ike à détruit ce qui tenait encore debout. 1,45 million de personnes ont dû être évacuées,  440 000 maisons ont été endommagées, 63 000 ont dû être rasées, mettant en difficultés l’aide humanitaire.  De plus, la côte SE est une zone où il y a de temps à autre des tsunamis.

          Nous verrons, nous dit Maxwell beaucoup de fermes abandonnées. Fidel Castro a donné aux jeunes de la campagne la possibilité d’aller à l’Université, et ceux-ci ont ensuite préféré rester en ville. Obama avait contracté, en fin de mandat, un contrat par lequel 23 ingénieurs agronomes américains devaient venir investir dans l’agriculture, mais Trump a aussitôt annulé celui-ci. Pour les cubains, l’élection de Trump a été une dure réalité, celui-ci, au lieu de suivre la politique d’adoucissement d’Obama, a au contraire renforcé l’embargo. C’est peu de dire que pour un cubain, tous ses malheurs proviennent des Américains !...

         Le soleil se couchant vers 18h15, la nuit est arrivée que Félix conduit toujours sur cette route de montagne, sa vitesse, parfois  ne dépassant pas les 15 kms/h, cette route où il peut à tout moment y avoir un animal en divagation, des carrioles non éclairées… N’y pensons pas de trop et faisons confiance à notre chauffeur.  

        Enfin on y est, on est arrivés sans encombre à l’hôtel Porto Santo de Baracoa.

        Cet hôtel est comme je les aime, des petits bungalows à deux étages dispersés dans la végétation. Maxwell me donne la 212, ah non ! monsieur, moi vouloir rez-de-chaussée….. bon d’accord, il y a les porteurs pour mener la valise à ma porte, mais je n’y suis pas spécialement habituée. J’obtiens la 110 et comme elle est à l'extrémité du parc, au terme de sombres allées qui vont dans tous les sens, tout juste éclairées pour voir où l'on met les pieds, hé bien un porteur a dû m’y conduire,  comme quoi rien ne sert de contrarier ce qui doit être fait.

          Dîner au restaurant de l’hôtel, j’y déguste des gambas, un régal.

          Demain, découverte de Baracoa, première ville fondée par les espagnols sur le continent américain en 1511.

     Baracoa