Yazd

             * Dimanche 21 Mai 2017 (suite)

    Le début d’après-midi est consacré à la découverte de la ville antique de Yazd, cette cité visitée par Marco-Polo en 1292,  qu’il a désignée comme « Noble cité de Yazd » dans ses « Récits de Voyages »

    Faut dire aussi qu’elle est bien particulière cette ville qui dresse ses murs au cœur d’un océan de sable ! Bordée par 2 déserts : le Dasht–e Kavir au Nord et le Kavir-Lut à l’Est, cette ville-oasis a vu son centre historique inscrit sur la liste du Patrimoine de l’Unesco. Point N° 11 carte itinéaire



  Fondée au IVème siècle sous le nom d’Isatis, devenant ainsi l’une des plus anciennes cités du monde, cette capitale de 500 000 habitants, fut longtemps sillonnée par les convois des caravanes. Elle occupe aussi une position stratégique au croisement des routes de la soie d’Asie centrale et des Indes. Ville la plus aride du pays, elle bénéficie d’un réseau dense d’irrigations, grâce au qanâts des eaux du mont Sir (4074m) permettant la culture du coton et des agrumes.

  Considéré autrefois comme l’un des principaux centres de tissage du pays, à tel point que les Mongols, pourtant grands destructeurs, l’épargneront au 13ème siècle, Yazd s’est enrichi grâce au commerce de la soie.


    La promenade au milieu de ses maisons traditionnelles à toits plats, aux murs épais de pisé, est agréable. La ville écrasée de chaleur dort, les habitants font de même, nous sommes quasiment seuls à parcourir ces ruelles étroites, emprunter les escaliers et frais passages  voûtés,  serpenter à travers ce labyrinthe aux rues pavées. Toujours seuls à entrer dans des boutiques qui semblent sortir d’un autre âge, admirer les dômes faïencés de quelques mosquées. L’étroitesse des ruelles me procure une ombre bien salvatrice.

    Il fait si chaud que même la porte de leur boutique pourtant grande ouverte, les artisans se reposent, c’est ainsi que nous  y entrons et interrompons, bien malgré nous, la sieste des deux personnes, allongés sur une couverture, cachés derrière leur comptoir.

    L’ œil s’arrêtant sur les antiques portes de bois vous fera voir que chaque battant est muni d’un heurtoir à la forme et tonalité différentes, dont le visiteur se servira distinctement selon qu’il est un homme ou une femme. Saĩdé dira « C’est pour qu’à l’intérieur, la femme ne soit pas surprise et ait le temps de se couvrir si c’est un homme qui vient » Moi je veux bien ! mais pour avoir vu exactement la même chose un mois auparavant à Malte qui est, comme tout chacun sait, profondément christianisé donc sans le port du foulard ! j’émets un doute quant à son explication. Ce qui est toutefois certain c’est que l’hôtesse saura avant d’ouvrir qui frappe, homme ou femme,  faut-il encore que le visiteur se plie à la règle !

    Ca et là  dominant les toits, des tours de vent (badgir)  les ancêtres de la climatisation !

 

  

  

       t Bâd-gîr (capteur du vent en langue persane) Les Iraniens en furent sans doute les premiers créateurs. Les tours du vent sont un système de ventilation extrêmement efficace pour supporter l’étouffante chaleur estivale des régions les plus désertiques du pays. Elles sont construites en forme de polygone avec des hautes colonnes percées d’ouvertures et un ou plusieurs réservoirs d’eau dans les chambres.  Ces cheminées d’aération captent la moindre brise du désert de manière à rafraîchir les pièces surchauffées, l’air finissant par rentrer en contact avec l’eau du bassin, le rafraîchit en s’évaporant.

    Cette balade nous mène dans une cour où se trouve une bien curieuse structure en bois, il s’agit de l’ossature d’un « nakhl » dépouillé et placé sur des piédestaux afin que l’humidité du sol ne l’abîme pas

       t Le Nakhl. Cet ouvrage d’art en bois (platane, palmier ou peuplier) est utilisé lors des cérémonies de l’Achoura,  au cours du mois de Moharram,  jour célébrant la commémoration du martyr du 3ème Imam des chiites : l’Imâm Hossein. Ce nakhl est alors décoré de tissus brochés, de soie, miroirs, bijoux, objets votifs, fleurs, fruits, illustrations, poèmes religieux….. Ce cercueil en forme de cyprès (arbre représentant la liberté dans la culture iranienne) est ensuite porté en procession par plusieurs dizaines d’hommes sur leurs épaules.

   Le plus ancien nakhl de l’Iran (cercueil symbolique) est conservé  depuis 1881 (ère safavide) sur la place Ami Tchakhmâgh de Yazd. Ses dimensions sont de 8,5m sur 8,5m et 8,5m de hauteur.

         C’est ainsi que de ruelle en ruelle nous arrivons devant le must de Yazd, la :

         Mosquée du Vendredi  (Masjed-e Jameh). Ce qui m’a, de prime abord, surprise, ce sont ses dimensions, un portail (pishtaq)  étroit et qui n’en finit pas de grimper vers le ciel, de plus surmonté des plus hauts minarets d’Iran (57m). Le soleil dans les yeux m’empêche d’en profiter tout à loisir, dommage !

    A l’entrée de celle-ci, fondée au XIVème siècle, j’admire une très belle porte en bois ouvragé aux motifs géométriques. La voûte de l’iwan est recouverte de stalactites en faïence émaillée de couleur azur et turquoise.

   Il y a quatre salles de prières latérales. La double coupole est revêtue d’élégantes mosaïques de faïences, quant au mihrab du XIVème siècle, avec ses stalactites décorées lui-aussi de faïences, il est tout simplement superbe.


 

     

    La mosquée m’a offert le temps de la visite sa bienveillante fraîcheur, il me faut maintenant affronter la chaleur, mais avantage du VO ! Reza est là à attendre le groupe, il nous emmène alors voir une curiosité locale, un lieu appelé en persan :

              * « Hanar sayeh sar » qui pourrait se traduire par  « lieu des moulins à henné » abrité sous des coupoles en briques.

    Depuis l’entrée, il m’est déjà bien difficile d’apercevoir quelque chose à travers ce brouillard verdâtre dû à la poussière de henné en suspension, qui me fait tousser pendant plusieurs longues secondes, cette visite est bien évidemment interdite aux asthmatiques ou victimes d’allergie. Je distingue au fond de la pièce des monumentales meules de pierre qui, à l’aide d’un moteur électrique, tournent et tournent jusqu’à réduire les feuilles de henné en une poudre aussi fine que de la farine.

   Il y a encore quelques années, c’étaient des chameaux qui effectuaient ce travail répétitif, aujourd’hui les artisans locaux ont scrupuleusement conservé l’intégralité du système antique, meules en granit et pièces mobiles en bois massif.

   Les ouvriers nous montrent ensuite comment ils confectionnent les petits paquets qui seront commercialisés. Eprouvant ce boulot, toujours au milieu de bien épaisses poussières !

   Parlons maintenant un peu du zoroastrisme ! je donne à parier que, comme moi, vous n’en avez jamais entendu parler, et pourtant cette religion n’est pas d’aujourd’hui, puisque fondée au 1er millénaire avant J.C. C’était le culte officiel des Perses (la religion qui possède l’Avesta, le recueil des textes sacrés) mais dès le 8ème siècle, le durcissement de l’islam (multiples discriminations, persécutions) contraignit les Iraniens à des conversions massives, ou à des mouvements d’émigration vers l’Inde. Toutefois, dans les zones rurales éloignées des centres urbains musulmans, les traditions zoroastriennes furent plus facilement préservées, c’est qu’ainsi qu’aujourd’hui encore, toléré par l’Islam. Yazd abrite  la plus grande communauté zoroastrienne du pays, forte de 10 000 membres.

   Cette religion tire son nom de son fondateur : Zoroastre.  Le principe zoroastrien est qu’il y a dans tout être humain depuis sa naissance un esprit saint (esprit de Dieu) ainsi qu’un esprit mauvais. Si à votre décès vos bonnes actions l'ont emporté sur les mauvaises, votre âme franchira le pont de Tchinavat pour rejoindre la Maison des chants, le paradis, le pire péché de l’Homme étant le mensonge. Aucun mal ne doit être commis à l'égard des animaux et leur sacrifice doit être considéré comme un crime des hommes à leur égard.  Il faut préserver la pureté de l'eau, de la terre, de l'air et du feu, ce dernier est le seul élément divin ayant besoin du concours de l'homme pour continuer d'exister, c’est pourquoi,  en tant que feu sacré, les Zoroastriens le vénèrent plus que tout.

  Le régime islamique se méfie toutefois de cette religion qui sacralise le feu et les éléments. Le zoroastrien croit au pouvoir de la pensée et tolère mal l’obligation faite aux femmes de se voiler.

   Chez les zoroastriens on se doit de prier cinq fois par jour pour se rappeler que la droiture et le bien  sont des  bonnes choses, de faire une fête une fois par mois, plus cinq jours pour préparer le nouvel an. Prendre le repas avec nappe, nourriture, pains et fleurs, c’est se purifier.

   Vous l’aurez sans nul doute deviné, Reza nous dépose devant l’entrée du :

      * Temple du Feu (Ateshgâh)

Ce bâtiment construit en 1934 sur un terrain appartenant à la communauté parsi des Zoroastriens, partis en Inde au moment de l’arrivée en Perse des Arabes musulmans, abrite un feu allumé en l’an 470 à Chiraz. Ce feu transféré à Yazd en 1940, ne s’est jamais éteint depuis.

Sur le fronton de l’édifice  je m’arrête un instant devant le « Farvahar » (guide de l’âme), reproduction exacte de l’ancien motif achéménide, en faïences bleues et jaunes. Chaque élément de ce motif désigne un symbole zoroastrien bien particulier, tels que le vieil homme représentant la sagesse venue avec l’âge, les deux rubans la dualité entre les bons et les mauvais choix ou encore la main droite qui indique la bonne direction. Tel était la devise de Zoroastre.

  Entrée dans ce temple, j’aperçois cachée derrière une vitre, à l’abri des respirations pour ne pas être souillé ! une vasque où le feu sacré, symbole de la pureté et de la lumière vitale, crépite. Cette combustion entretenue avec le bois noble du prunier est maintenue par un prêtre responsable des lieux depuis près de 35 ans.

   A coté un petit musée expose diverses publications religieuses : la table et ses présents, symbole de purification, la photo d’un grand feu prise lors de l’importante fête du Sadeh ou encore celle des zoroastriens dans leurs habits de cérémonie à l’occasion de la grande fête du Nouvel An (Norouz)

   Dans le jardin, beaucoup de grenadiers, signe d’abondance.

 

   

  Reza nous mène ensuite à quelques kms de là, à l’écart de la ville, toujours dans le registre de cette religion millénaire, voir un site revêtant une grande importance pour cette peuplade.



  Sitôt l’entrée se trouve une citerne d’eau encadrée de ses deux tours du vent, à ma droite quelques bâtiments restaurés avec soin (le parsehgah)  qui faisaient office de lieu de prières pour diriger l’âme du mort au paradis après avoir traversé le pont Tchinavat, et au loin, dont le sommet est accessible après une bonne centaine de marche :

       *  Une tour du silence ou dakhmä .Construction circulaire à ciel ouvert. Les morts étant considérés comme impurs et susceptibles de souiller ces éléments sacrés que sont le feu, la terre et l’eau, l’enterrement ou la crémation étaient interdits.

  Leur conception du respect dû aux morts est quelque peu déroutant pour nous occidentaux ! Jusqu’en 1978, les défunts zoroastriens étaient exposés par les prêtres au sommet de cette tour, puis disposés en cercles concentriques, selon qu’on était enfant, femme ou homme, de manière à y être « nettoyés » par les vautours. Lorsqu’il ne restait plus que les ossements, généralement au bout de seulement quelques jours, ils jetaient ceux-ci dans la fosse centrale, mais néanmoins leurs âmes avaient eu le temps de quitter cet endroit pour franchir le pont. Le grand cratère peut peut-être expliquer des épidémies.

  En 1978, sous prétexte d’hygiène public et de risque d’épidémie, le shah Mohammed Reza finit par interdire cette pratique. Aujourd’hui les cimetières zoroastriens accueillent les défunts mis dans des cercueils étanches posés sur du béton, afin que le corps  ne soit jamais en contact avec le sol.

    

  De retour au bus, Saĩdé fait une proposition intéressante pour qui veut s’imprégner des us et coutumes d’un pays. Aller dans un « zurkhaneh » (maison de la Force) et assister à un spectacle de lutte iranienne. Peu connue en dehors de l’Iran (d’où l’intérêt !!)  a Yazd cette lutte se pratique  sur un terrain rond construit au centre d’une vieille citerne à eau. Les spectateurs s’assoient sur des bancs autour. Sur un des côtés, le maître dirige la séance avec son gong et ses tambours. Au centre de l’arène, les danseurs-gymnastes font des pompes, des étirements, ou tournent sur eux-mêmes, bras écartés. Un étrange mélange de rythme et de patriotisme.

  Saĩdé était certainement contente de nous montrer cette originalité, mais quelques murmures presque inaudibles lui parviennent, là encore je regrette ma timidité, je n’ose dire « Oui, ça m’intéresse ! » ça sera donc non ! Bien dommage qu’elle ne l’ait pas demandé bras levé ou carrément imposé, ce n’était pas si onéreux que ça, et ça n’aurait pas demandé un grand investissement temps, elle l’a bien fait pour d’autres choses sans qu’on n’y ait retrouvé à redire. A classer dans les regrets.

  Il est l’heure d’aller dîner, le choix est fait sur le « Moshir-el-Mamalek » un « hotel-garden » situé à Yazd. Il fait nuit lorsque je franchis la porte, waaouah, quelle splendeur ! Aménagé avec raffinement dans un ancien caravansérail de l’ère Qajâr, (d’ailleurs enregistré sur la liste des sites patrimoniaux d’Iran) ce restaurant offre avec ses jardins, sa fontaine et sa rivière où coule avec vivacité une eau transparente, un cadre rare, digne d’un palais oriental.

  La salle où est présenté le buffet expose différentes sortes d’artisanat. A l’extérieur, sur une branche d’arbre, si profondément endormis qu’un moment je les ais crus artificiels, deux splendides perroquets africains.

Le repas pris sur des tables au-milieu des jardins est sous forme de buffet.

 

 

  Je termine cette journée pleine d’enseignements par un arrêt sur la place centrale d’ :

      *  Amir Chaghmagh. Brillant de mille feux, s’élève au fond de la place le pishtaq (portail d’entrée) de l’ancien tekyeh construit au 19ème siècle pour accueillir les représentations théâtrales faisant revivre les derniers instants de l’imam Hossein. Ce symbolique monument, offre à mon regard émerveillé ses trois rangées d’arcade superposées et ses deux hauts minarets, véritable kaléidoscope de couleurs, tantôt oranges, tantôt bleues, tantôt jaunes…  


  Sur ma gauche une citerne surmontée de cinq tours du vent, abrite la maison de force. Dans un coin à droite j’aperçois le nakhl utilisé lors de la célébration du martyr de Hossein.


  Voilà un petit monument, ça serait difficile de ne pas le remarquer, tant son emplacement est délimité par des lampadaires et des barrières de sécurité. De forme carré et d’1 m de hauteur, il a été réalisé en faïence bleue avec sur le dessus des plaques de marbre, en mémoire aux soldats (martyrs) tués lors de la guerre Iran-Irak. N’ayant rien trouvé sur le sujet, je suppose que ce monument funéraire n’est pas construit depuis bien longtemps.

  Au milieu de la place, je contourne un bassin et des jets d’eau, en son centre trois personnages qui se regardent. Tout cet ensemble prend en ce moment des airs de palais des Mille-et-une-nuits.

   Désolée pour la qualité des photos, mais ne sachant pas que j’allais admirer cette place illuminée, je n’avais pas sur moi le bon appareil, très lourd que je ne trimballe pas partout, sur ce coup là, c’est loupé !!

  

  Au-revoir Reza, un petit billet et puis s’en va.   A la réception de l’hôtel Zanbagh qui vois-je ? Hamid de retour !! il a effectué sa réparation un dimanche et parcouru les 400 kms de là où on l’a laissé. Bravo 

  Bonne nuit et à demain

*  Lundi 22 Mai 2017

  La journée commence par une visite, qui ne devrait pas être désagréable, celle de la pâtisserie :

  t Haj Khalifeh Ali Rabbar. Située à un angle de la place Amir Chaghmagh, cette confiserie familiale est centenaire.

  Un sentiment bizarre me saisit en y entrant, me donnant plutôt l’impression d’être dans un hall de gare, avec son long comptoir et ses bancs alignés. Quant aux pâtisseries, elles sont toutes présentées dans des boîtes, sur des étagères. Aucun étal, rien pour me faire saliver, des boîtes, rien que des boîtes ! Saĩdé me fait voir l’intérieur de l’une d’elles avec des saveurs différentes, ça serait une boîte d’échantillons ! noix de coco, eau de rose…


   

Et on repart ! Adieu Yazd, La prochaine destination : Meybod, bourg de potiers est à 25 kms au Nord sur la route d’Ispahan


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