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                Lundi 22 Mai 2017 (suite)

      Ispahan, l’une des plus jolies villes du monde musulman, Ispahan aussi vieille que l’histoire de son pays, plusieurs fois détruite et chaque fois rebâtie encore plus belle.

            Ses origines remonteraient peut-être à la période achéménide (500 av J.C.) Sous les Sassanides elle était la résidence de la famille royale et un centre pour l’armée.  En 935, les Bouyides, une dynastie musulmane, prennent Ispahan. Ils entreprennent la fortification de la ville avec la construction de murs à douze portes, de mosquées, d’une citadelle, d’une bibliothèque et agrandissent le bazar. L’apogée de la ville correspond à l’époque de Malek-chah Seldjoukide (1071-1092). Mais c’est en 1598 lorsque Shâh Abbâs y choisit d’y installer sa capitale, que se développa le plan qu’elle conserve encore en partie aujourd’hui. Mais lorsqu’elle fut victime de l’invasion afghane du début du 18ème siècle, Ispahan  ses minarets et ses dômes dépouillés, souffrit d’un réel abandon et vit sa splendeur ruinée. Ce n’est tout récemment que grâce à d’importants travaux de restauration, qu’elle retrouva sa magnificence.

     Située  à 340 kms au sud de Téhéran, à une altitude de 1575 m, Ispahan  est une oasis au milieu de l’aride plateau iranien. Sa population est aujourd’hui de plus de 2 000 000 millions d’habitants.

            Ispahan multiplie les appellations flatteuses : « l’aimée des cœurs », la « nourriture de l’âme » ou encore la « moitié du Monde » comme un reflet du Paradis.

            Les grands poètes ont exprimé dans leurs œuvres son incomparable beauté. André Malraux disait d’elle « Qui peut prétendre avoir vu la plus belle ville du monde sans avoir visité Ispahan » La belle cité doit sa réputation à ses monuments ornés mais aussi aux combats de ses guerriers et à sa résistance sans fin à tous ses malheurs. Elle enchante tout autant par l’architecture galbée de ses  dômes turquoise de ses mosquées que par les magnifiques ponts surplombant le Zayandeh Rud et la verdure de ses jardins. Alimentée par des générations d’architectes, d’artistes et d’artisans, sa réputation de joyau de la Perse musulmane n’est pas usurpée.

            Le très célèbre pâtisser Pierre Hermé s’est inspiré de la belle et odorante Ispahan pour confectionner un gâteau du même nom, à la framboise, au litchi et à la rose, qui a connu un succès flamboyant.

Point 14 carte itinéraire

    Hamid nous dépose dans un parking souterrain, genre centre commercial, de là un escalier mécanique, qui sans doute mécontent de ne pas fonctionner se venge sur les  touristes. Jean-Claude y laissera la couche superficielle de la peau du bout de ses doigts. Allez Saĩdé, voici ton baptême du sang ! Bon ce n’est pas grave, après avoir sacrifié quelques mouchoirs, nettoyé et mis un pansement, Jean-Claude est de nouveau opérationnel.

    Je me dirige vers la Mosquée du Vendredi, la « plus majestueuse d’Iran » disent les guides, pour l’instant je n’en aperçois pas même la trace d’un minaret, faut dire aussi que cette mosquée est bien camouflée au-milieu des échoppes du bazar. Devant celles-ci, comme m’invitant à y entrer, des mannequins proposent des tchadors, apparemment ceux-ci sont soldés, c’est le moment d’en profiter, vous en voulez ? 

    L’entrée, encadrée de boutiques, accessible en haut de quelques marches, est on ne peut plus discrète, mais c’était compter sans Saĩdé pour la débusquer ! Apparaît alors, le portail d’entrée construit en 1804 de :

                          La Mosquée du Vendredi  l’une des plus vénérables (il a été retrouvé des vestiges remontant à l’an 773) et des plus belles constructions d’Ispahan, la seule de Perse à conserver intacts des bâtiments et des décors allant des périodes seldjoukide (1051-1220) aux périodes safavide (1502-1736). Elle est à elle seule un véritable musée d’architecture islamique.


           La mosquée figure, à juste titre, depuis 2012 sur la liste du patrimoine de l’Unesco. D’une superficie de 23000m², elle présente le type iranien avec quatre iwans qui datent tous du 12ème  siècle. Encadrant ces iwans, la cour centrale est bordée d’arcades sur deux niveaux, entièrement décorées de mosaïques du 15ème siècle pour la plupart, elle est constituée d’une multitude de petites salles surmontées de petites voûtes, 476 précisément.

    A l’entrée, une chaîne en forme de balance pend à la porte du portail en bois, cet emblème de la justice symbolise l’union de tous les croyants par la grande prière du vendredi. Depuis ce portail j’emprunte un couloir qui mène à la cour centrale, dans ce corridor un petit musée abrite les plans des différentes périodes de construction, plans commentés par Saĩdé qui nous fait là encore une démonstration de son immense savoir.

    Allez, prêts pour la visite ! Depuis la cour je suis Saĩdé qui entame celle-ci dans le sens des aiguilles d’une montre. A gauche donc, voici :

               t L’eivân Sud (Sâhèb) repérable à ses deux minarets (1474) est le plus richement décoré, sa voûte est recouverte de larges alvéoles décorées de motifs géométriques très simples. Les faïences blanches et bleues dans l’arc sont plus tardives (16ème et 17ème).

    Derrière cet eivân :

               t La salle de Malek Shâh. Construite par le célèbre vizir Nizâm al-Molk, entre 1072 et 1090, une des rares parties de l’ancienne mosquée à avoir survécu à l’incendie de 1121. Cette immense salle d’une hauteur de 34m et d’un diamètre de 14,5m est recouverte d’une coupole de briques posée sur un polygone à 16 cotés. Elle est considérée comme le chef-d’œuvre de l’architecture médiévale en Perse. Le mihrab dont la partie supérieure est décoré de céramiques de faïence bleues n’est pas d’origine seldjoukide,  mais a été rajouté au 17ème siècle.

        t L’eivân Ouest (Ostâd) reconnaissable à la petite tour dont il est surmonté et qui sert à l’appel à la prière est de l’époque seldjoukide. Cet eivân est tapissé d’alvéoles qui se combinent avec des triangles, des pendentifs inversés, pointe en haut.

            Tout à coté, à sa gauche, une petite salle :

        t Le chabestân du sultan Uldjaitu. On peut y voir un mihrab bien conservé (1310) réalisé par le sultan mongol, avec motifs floraux et calligraphie  en stuc sculpté. A coté, un superbe minbar en bois de platane marqueté. (Pour infos, le mihrab est la niche indiquant la direction de la Mecque et le minbar l’escalier sur lequel le mollah monte pour la prière du Vendredi)

       

 

     Derrière ce chabestân, accessible par une porte contigüe :

        t La salle d’hiver. Grande pièce basse (50mx20m)  trapue, sans aucune décoration, les croisées d’arcs qui descendent du plafond jusqu’au sol forment des piliers puissants, uniques en leur genre. Autrefois, la seule lumière était celle qui filtrait à travers des dalles d’albâtre fixées aux voûtes. Cette salle daterait des remaniements architecturaux effectués vers 1447.

        t L’eivân Nord (du Derviche) daté du 12ème siècle est formé d’une simple voûte en arc brisé, ses motifs étoilés sont le fait de la disposition des briques.

     Naviguant au milieu d’une forêt de hauts piliers, allant de salles en salles j’arrive au terminus de la visite avec :

        t Le Gonbad-e Khaki. Ce dôme (1088) qui mesure environ 12 m de Ǿ pour une hauteur de 22m  présente une architecture soignée : une succession d’arcs de plus en plus petits pour finir avec un cercle de seize arcs sur lequel repose le dôme. Ici aucune décoration en couleur, c’est la brique seule qui par ses formes différentes (triangulaires, carrées, rectangulaires….) créé les motifs étoilés de l’intérieur de la coupole. Son constructeur Tâdj-ol-Molk rival de Nizâm-al-Molk la signa de son nom.

       t La cour centrale, en son milieu se trouve un bassin surmonté par une construction carrée érigée en 1577. Les quelques marches servent à l’officiant pour y faire un discours religieux.

   En ce moment, des employés sont occupés à dérouler les nombreux tapis qui recouvriront la superficie totale de la cour centrale, cette manutention est effectuée en vue du Ramadan qui doit commencer dans seulement quelques jours.      

   Ici sous un evân c’est un mollah qui s’enrichit l’esprit.

       t L’iwan Est (Châguèrd) est le seul qui ait conservé son décor seldjoukide, mais le décor de sa partie supérieure a été réalisé en 1681

 

     

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   Hamid nous amène maintenant vers un paysage plus bucolique, plus coloré, un tantinet romantique, un des ponts les plus célèbres d’Ispahan sous lequel coule  une rivière au joli nom de Zâyandeh-rud « Aujourd’hui on a de la chance  dit Saĩdé, il y a de l’eau,  ce n’est pas toujours le cas » il semblerait que celles-ci ne soient libérées que quelques mois par an ! au printemps ??  Ce pont fait aussi office de barrage et ses eaux peuvent être régulées par les mini-écluses situées entre chaque arche. Depuis trois siècles elle alimente ainsi les cultures et la ville. Sur le coté, une statue en pierre représente un lion.

         * Pont Khâdjou. Avant la conquête arabe, ce pont, tout comme les dix autres d’Ispahan, séparait la ville iranienne de la ville juive. Construit à l’emplacement d’un ancien de l’époque Timouride (environ 1480), sous le roi séfévide Shah Abbas ll vers 1650, il force l’admiration.  Long de 132m et large de 12m il compte 24 arches réparties sur deux étages. Sur le niveau supérieur, les deux chemins voûtés étaient utilisés par les piétons et l’allée centrale par les chevaux et carrioles. Le niveau inférieur  accessible aux piétons reste un endroit ombragé populaire pour se détendre. On y trouve aujourd’hui un café, un salon de thé et une galerie d’art.

   Avec ses piliers en pierre, sa superstructure de brique, ses degrés de pierre en aval où l’eau dévale en cascade, ses promenades ouvertes et ses deux pavillons semi-octogonaux : « les Parloirs des Princes » ce pont reste un chef-d’œuvre d’harmonie et d’équilibre. N’est-il pas pittoresque avec ses jolies faïences émaillées et ses arabesques, le seul à être ainsi orné !

   Ce pont formait un petit lac au temps de la fête royale, d’où on lançait un feu d’artifice et où l’on canotait.

   Les ponts d’Ispahan restent l’un des lieux de promenade préférés des habitants, un lieu de rencontre populaire où les amis et les amoureux s’’y promènent, les familles s’y installent pour pique-niquer, s’assoient sur les marches qui descendent jusqu’au fond du lit de la rivière ou s’y trempent les pieds. Comme moi ils contemplent Zâyandeh-rud, apaisés devant ces minuscules cascades,  parfois même cherchant l’ombre en s’installant sous les arches. Et moi touriste je m’y sens bien ! je sollicite à tout va des portraits, puis pose pour des selfies. 


   Ne manquent, à cet instant, à mon bonheur qu’un splendide coucher de soleil, et plus tard  la magnifique vision d’un pont illuminé avec ce jeu d’ombres et de lumières sur les arches, je m’extasierais alors devant ce superbe spectacle, m’étourdirais de chants et de poésie que ne manqueraient pas d’offrir les Ispahanais. Mais ! ce n’est pas prévu et ça ne sera pas proposé comme option, dommage ! à mettre dans la case regrets.

      

 

   Et nous voici repartis pour admirer un autre pont, presque aussi célèbre, également magnifique :

         * Pont Si-O-Seh ou Pont des trente-trois arches. Celui-ci construit en 1603 sous le règne de Shâh Abbâs  1er.  Avec ses 33 arcades sur deux niveaux, ce superbe ouvrage est le plus grand pont d’Ipahan (298m de long x 14 m de large) Deux maisons de thé sont aménagées à chacune de ses extrémités.

   A l’époque safavide, la fête d’Âbrizân était fêtée au pied du pont et la participation du roi la rendait encore plus majestueuse.

     

 

   La journée terminée, Hamid prend la direction du  "Pirozzy Hotel"  à Ispahan. Particularité de celui-ci, il possède une petite boutique qui présente des objets d’artisanat, Saĩdè me proposera bien de négocier les prix, oui mais voilà, je suis comme la rivière Zâyandeh-rud en été, à sec !!! J’avais pourtant pensé emmener large en liquidités, mais après les achats de la brochure sur l’histoire de Persépolis, le superbe livre de poésie à Chiraz, quelques babioles, les pourboires donnés aux deux chauffeurs, et surtout la balade dans le désert ont mis à mal ma réserve. Encore heureux de ne pas avoir eu à payer ce visa car là ca aurait été cuit depuis un moment.

   Hormis ce que j’ai d’ors et déjà mis de coté pour les pourboires d’Hamid et de Saĩdé (tout de même 8 et 11 jours)  il ne me reste plus grand chose, si !! 2 jours de voyage. Dans la plupart des pays il aurait suffit d’aller aux distributeurs automatiques « impossible n’est pas français » paraît-il, en tout cas il est iranien ! il faut prévoir en espèces ce qu’on est censé dépenser, un peu casse-tête !

   Je cogite, faire avec ! pas trop le choix ? oui mais Ispahan est une ville de tentations ! j’opte pour une autre solution, demander à la seule personne qui peut m’aider : Jean-Claude. Oui, le seul, car les autres sortiront de l’aéroport à Paris, tandis que JC continuera le voyage avec moi en prenant la correspondance pour Nantes. Faut-il encore qu’il ait du rabe et surtout qu’il me fasse confiance !!! Avec ma carte bancaire, arrivée à l’aéroport, je retirerais ce qu’il pourrait me prêter. Ce fût chose faite, sincèrement je te remercie Jean-Claude de la confiance que tu m’as témoignée, quant à moi j’ai pu ainsi sereinement terminer ce voyage en m’offrant quelques petits plaisirs supplémentaires (dont le livre français spécial Ispahan qui m'a inspirée pour écrire cette page)

  L’hôtel Pirozzy est situé à environ 1 km de la « Place de l’Imam ». Pour la première fois du voyage, le « Coran » est mis à ma disposition.

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                Mardi 23 Mai 2017

                  9 heures tapantes, je suis avec le groupe devant l’entrée du « Chehel Sotoun » malgré les horaires affichés, les portes restent obstinément fermées. Saĩdè veut mettre à profit ce temps d’attente et c’est d’un bon pas que nous rejoignons la fabuleuse place Royale distante d’environ 800 m.
    Pour ce faire, je passe devant le Musée d’Histoire où un dinosaure semble défier le temps, puis traverse un sympathique parc qui cache sous ses ombrages un beau buste cuivré d’Alireza Abbasi, enseignant et éminent calligraphe. Nous n’y restons pas très longtemps assez cependant pour s’imprégner de cette luminosité et faire de superbes photos, le soleil étant encore assez bas.


                

      

 

        * « Chehel Sotoun Palace » ou Palais des Quarante Colonnes. Ce pavillon construit en 1647 sur l’ordre du roi Safavide Shâh Abbâs II, de 57,m de long et 37m de large est situé sur l’ancien parc royal. Il était destiné aux cérémonies officielles et surtout à la réception des ambassadeurs étrangers.

   L’ensemble comprend une terrasse à colonnes, la salle du miroir et la salle du trône. Un grand bassin (115m x16m) et des fontaines ont été aménagés pour rafraîchir l’air du jardin et du palais.

   Ce palais, dit des 40 colonnes n’en possède en fait que 20, 18 sur la première terrasse et 2 à l’est de la salle du miroir. Le chiffre 40 se revendique  d’une allusion poétique au reflet de celles-ci dans l’eau du bassin.  Sur les quatre cotés de ce dernier, les bases des colonnes présentent des sculptures en forme de lion, symbole de pouvoir et de splendeur.

   Le palais s’ouvre sur un portique (talâr) soutenu par de hauts piliers en platane, chacun taillé d’un seul bloc mesurant 12,80m de haut. Ces colonnes sont posées sur des fûts de pierre. Quant aux miroirs d’origine vénitienne, ils datent du 16ème siècle.

      La salle du trône surmontée d’un haut plafond occupe un vaste espace. Six grandes fresques recouvrant les murs représentent des scènes de bataille exaltant le courage guerrier des souverains safavides (guerre de Tchâldorân, du roi Ismâïl, de Nâder Chach) ou la vie de la cour safavide (réception de Vali-Mohammad-Khân, gouverneur de Turkistan, du roi d’Inde, de Shâh Homâyoun). Au-dessous de ces grandes scènes se trouvent des peintures plus petites, semblables aux miniatures persanes.

      Depuis 2011, le jardin figure sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

      Près de l’entrée, un curieux habitat m’intrigue, Saĩdè satisfait ma légitime curiosité, c’est celui d’une famille baloutche, habitation traditionnelle,  les hommes vêtus d’une tenue typique proposent des vêtements, des sacs à main. Pour capter mon attention, l’un d’eux se met à jouer de la flûte, sympa ! 

        

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      Saĩdè nous amène maintenant chez un marchand de tapis, je vous voie venir, vous devez vous dire « Ils n’y ont pas échappé ! » Ce n’est tout à fait  ça ! l’un de nous lui avait exprimé son intention de ramener un tapis d’Iran. Nous voici donc arrivés chez Abbasi Carpet. L’accueil est on ne peut plus chaleureux « Bonjour, Messieurs-Dames, je m’adresse tout d’abord à ces dames, vous pouvez enlever votre foulard » C’est tout de même étrange cette sensation d’être dépendant de quelqu’un pour un port vestimentaire. En tout cas, on ne se le fait pas dire deux fois ! Après nous avoir offert thé et petits gâteaux, l’employé déroule, déroule et déroule encore… les tapis, à motifs rouges, gris, beiges, à points plus ou moins serrés.… le patron en décrit les caractéristiques, en français s’il vous plaît, ça impressionne !

      Du coup je me laisse tenter par un petit, genre taie d’oreiller, pour mettre sur un canapé. La tentation est grande, car il est proposé de régler par carte de crédit, je suis incrédule ! comment est-ce  possible ? c’est à n’y rien comprendre ! mais c’est qu’ils sont malins les commerçants iraniens !!  le paiement effectué avec l’antique système du « fer à repasser » transite par Dubaï. Le montant étant inscrit en DHJ (Dirham des Emirats Arabes Unis) il faut faire confiance, quoique le patron m’affiche les conversions sur l’écran de son Smartphone !!! je jette un regard du coté de Saĩdé, qui me rassure « Est-ce bon ? » Il s’avèrera lorsque je prendrais connaissance du débit de ma carte, que j’ai réglé 6 à 7% de plus que le montant entendu, on va dire que ces variations sont  imputables aux fluctuations du cours de la bourse !!!  Mon joli petit tapis d’Iran m’est remis avec facture d’authenticité, dans un sac rose fuchsia à  lanières et fermeture éclair, facile à transporter dans les halls des aéroports.

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                             Ces achats effectués, nous retournons sur cette fabuleuse place, une des plus grandes au monde (83500 m² :525m de long sur 159m de large) : la « Naghch-é Djahân » (Miroir du Monde)  appelée aujourd’hui « Place de l’Imam » ou encore « Place Royale » Pour faire une comparaison : sa surface est quasiment identique que notre « Place de la Concorde »

   la « Place de l’Imam » qui était la « Place du Shah » avant la révolution. Le grand roi safavide, Shah Abbas 1er qui fera en 1598 d’Ispahan sa capitale, bâtit en 1612 une nouvelle ville selon un plan simple et grandiose,
       La place, un immense périmètre ceinturé de longs murs à double arcade, fut initialement conçue pour servir de terrain de polo (les poteaux de buts sont d’ailleurs encore bien visibles) et de stade de présentation des troupes militaires, elle servait aussi pour les fêtes religieuses et les festivités royales. Autour d’elle grouillait une faune de bateleurs et de diseurs de bonne aventure. Le shâh
pouvait ainsi jouir du spectacle depuis la terrasse du palais Ali Qapu.


   A intervalles réguliers sont édifiés quatre bâtiments qui représentent les trois éléments du pouvoir: la mosquée du Cheikh Loftôllah faisant face au  palais d’Ali Qapu (l’Etat) la mosquée de l’Imam (la religion)  face au  Bazar (l’économie). S’ajoutent tout autour de la place les galeries où sont installées les échoppes des artisans et des commerçants, au centre on peut apercevoir des bassins, fontaines, arbustes finement taillés, pelouses et parterres fleuris. Encadrée de ces superbes monuments, elle s’impose comme l’un des ensembles architecturaux les plus spectaculaires du pays et du Moyen-Orient. Elle est d’ailleurs inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979.

Pourtant lorsqu’en 1722, l’Afghanistan envahira l’Iran, elle perdra toute sa magnificence, ce ne sont qu’après des travaux récents de restauration, pavement refait, bassins creusés, fontaines et jets d’eau rafraichissant l’atmosphère, pelouses bordées de massifs fleuris parfaitement entretenues, que la place retrouvera tout son éclat. La circulation automobile y est aujourd’hui strictement interdite, seules quelques calèches rutilantes la parcourent en faisant tinter les grelots de leurs équipages.


       

 

   Je vous ai parlé de quatre superbes bâtiments, alors allons y, tout d’abord, au Sud de la place :

             * La Mosquée de l’Imam (ou royale). Ce monument tout recouvert de carreaux de faïence à dominante bleue est le plus grand de ceux que fit bâtir Shâh Abbâs 1er  à partir de 1611, la mosquée Cheik Lotfollâh lui semblait trop petite !!!! Son plan est classique : un portail, une cour carrée bordée de plusieurs evâns, ceux-ci étant orientés vers les points cardinaux, la salle du mehrab (prière) et une ou deux madrassas.

          v Le portail d’entrée, l’un des plus grands pishtaq d’Iran, domine le sud de la place du haut de ses 27m. De chaque coté s’alignent deux beaux et minces minarets turquoise de 42 m de haut. Sa façade est décorée de calligraphies blanches, réalisées par Ali Rezâ Abbâssi, l’un des calligraphes les plus connus de la cour.

         Spécialement pour cette mosquée, il a fallu construire l’eivân Nord avec un angle de 45° par rapport au portail,  opération rendue nécessaire pour l’orienter vers la Mecque. L’eivân Nord est donc triangulaire et non rectangulaire, on le voit d’ailleurs bien sur le dessin ci-dessus.

             v L’evân Sud. Magnifique ! On ne voit que lui ! Qu’il est superbe cet evân avec sa façade recouverte d’arabesques blanches et or sur fond bleu encadrés par deux minarets turquoise de 48m de haut. Et lorsque, du haut de ses 52m,  apparaît entre les minarets, la coupole ventrue, revêtue de faïences vernissées turquoise, avec de fines arabesques florales blanches et jaunes, quoiqu’aujourd’hui il soit entouré d’échafaudages, c’est LA … carte postale ! surtout aperçu depuis la terrasse du palais Ali Qâpu.


            v La salle du Mihrab (salle de prières) A l’intérieur : un mihrab et un minbar taillé dans de l’albâtre. Face à ceux-ci les murs sont recouverts de faïence montrant principalement des animaux, censés représenter le paradis, parmi eux : six paons. Dans la culture persane, le paon symbolise la perfection et la beauté divine. C’est cette salle qui est recouverte de ce superbe dôme bleu, dont l’intérieur est décoré dans les mêmes tons bleus, blancs et or de l’extérieur.

      De chaque coté de cette salle de prière, se trouve une salle dont les huit petites coupoles sont fendues par une rangée de gros piliers en pierre. On y distingue des pièces de plomb disposées aux bases, censés tenir en équilibre la construction, en cas de séisme. La surface des murs et de voutes est recouverte de faïences à dessins floraux. Le motif au centre de chaque voûte représente une sorte de grande étoile de fleurs.

 

           

 

                v L’ivân occidental et oriental sont strictement symétriques, avec  chacun une petite salle de prière et trois arcades, dont une s’ouvre sur une madrassa. Ces madrassas sont composées d’une cour centrale rectangulaire entourée de cellules occupées par les étudiants. Là encore, toute la surface des façades est décorée de faïences émaillés, celles de la cour sud, exécutés en bleu cobalt et en jaune vif sont particulièrement jolies.

          Dans la cour de cette madrassa, un jeune mollah parlant français se tient à la disposition des touristes. « Vous pourrez, nous dit Saĩdé, lui poser toutes les questions que vous voudrez » A cet instant il est occupé à discuter avec un autre groupe de français, car des français, il y en eût beaucoup, mais vraiment beaucoup à découvrir l’Iran en ce mois de Mai 2017 ! Nous attendons, tout en tendant l’oreille et Michel, l’érudit du groupe, se lance, veut tout connaître sur la vie, les études de ce jeune homme, questions auxquelles ce mollah répondra avec une grande amabilité et un joli sourire.

   Arrêt gourmandise à l’un des magasins situé sur le bord de la place, ce commerçant vend du « Gaz » nougat mou confectionné avec du sucre de glucose, du blanc d’œuf, des pistaches ou des amandes, les précieuses emplettes sont gardées chez lui le temps du repas.

   Déjeuner : L’établissement « Bastani Traditional Restaurant » est situé au cœur d’une galerie, à proximité de la place Naqsh-e-Djahân.

 

       

   Pour y parvenir, je passe par le porche monumental du  bazar royal (Bazar Qaisâreh).

   Ce portail majestueux qui date du règne de Shâh Abbâs, se dresse au Nord de la Place Royale. Les motifs principaux dessinés sur la mosaïque du portail représentent un être moitié-homme moitié-tigre, Les faïences surplombant la porte figurent un sagittaire (signe zodiacal et mythique évoquant le rayonnement spirituel et la puissance de l’âme qui luttent contre les forces du mal) Au-dessus de celle-ci, les fresques représentent une scène de la bataille de Shah Abbâs le Gd, une scène de chasse et quelques personnages européens. Selon des récits de voyageurs, un emplacement situé au-dessus du portail, était réservé à un orchestre venant jouer de la musique pour annoncer le lever et le coucher du soleil.

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   Me voici arrivée devant l’entrée du Bastani. Dès la porte franchie, ça en jette ! le moins que l’on puisse dire c’est que  les décorateurs y ont mis le paquet ! ce lieu de style qâdjâr est très beau, fresques persanes, murs voûtés se déclinant en piliers (rappel des grandes salles anciennes de prière) stucs et dessins aux murs, aux plafonds, belle rosace au centre de chaque voûte, petits miroirs à chaque pilier, calligraphie…..  

   Ce restaurant traditionnel se répartit  sur deux niveaux, au centre et quelques marches plus bas, encadré d’arcades et de portes ouvragées avec ferronnerie et vitraux colorés, le patio est équipé de banquettes traditionnelles où l’on mange à l’orientale, assis en tailleur sur les tapis. Au milieu de ce sympathique patio je découvre un petit bassin ceinturé de plusieurs minuscules jets d’eau et agrémenté de lumières bleutées qui confèrent à cet endroit une atmosphère singulière. Le niveau supérieur est lui doté de tables et chaises à l’occidentale.

  Avec ce superbe cadre, c’est à mon avis, le plus joli restaurant depuis mon arrivée en Iran, et pourtant tous rivalisaient de beauté !

  Je me régale avec un des plats suggérés par Saĩdé : du poulet braisé trempant dans de la sauce à la grenade et des noix. Un délice onctueux, aigre-doux, savoureux.

            

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           De retour dans le bazar Qaisâreh, Saĩdé nous entraîne dans plusieurs allées dont celles des chaudronniers. A cette heure, il est quasi-désert, me permettant d’entendre d’un atelier à l’autre, le bruit fait par les artisans qui martèlent, cisèlent sous la lumière artificielle, plateaux et autres objets de cuivre. Quelques uns de ces magnifiques ouvrages me tentent, vraiment dommage que chez ces commerçants il ne soit possible de régler qu’en espèces. Voici maintenant l’allée des orfèvres, ici les vitrines brillent, les boutiques regorgent de bagues, bracelets, colliers…  en or ou argent.

   Ce bazar, véritable labyrinthe de ruelles voûtées qui s’enfonce dans la veille ville fut terminé en 1619. Jadis l’un des plus riches marchés d’Asie centrale, il demeure encore aujourd’hui l’un des plus beaux d’Iran et du Moyen-Orient. Ses allées couvertes de briques se recoupent en  beaux carrefours avec en leur centre un bassin.

  Si j’avais plusieurs heures devant moi, je pourrais admirer chemin faisant, caravansérails, ateliers d’artisanat, écoles coraniques, mosquées, hammams, places, fontaines. Au cœur de ce dédale, à l’abri de la chaleur, le monde des artisans se dévoile, orfèvres et chaudronniers mais aussi cordonniers, fabricants de khatem Kari (marqueteries d’ivoire, de bois et nacre) marchands d’épices, d’herbes du désert, etc.. Pour éviter l’intrusion des deux-roues, il est installé à chaque entrée des mini-portiques.

   Depuis le bazar, je remonte la place sur près de 300  mètres pour arriver à l’autre mosquée.   Je remercie ce hasard qui m’a permis d’admirer et de  photographier une première fois cette place de très bonne heure, la luminosité y était bien meilleure qu’à l’instant présent, maintenant le soleil au zénith rend les couleurs plus agressives avec de hautes lumières surexposées, un contraste trop important, une ombre quasi inexistante.

                    La mosquée Cheikh Lotfollâh (1619) Située face au palais Alli Qâpu, dédiée à l’un des beaux-pères de Shâh Abbas, elle servait d’oratoire au Roi. Le portail datant de 1603 et ses deux murs adjacents sont couverts d’un foisonnement de décors floraux bleus et jaunes, complété par une voûte à stalactites particulièrement fine. Contrairement aux autres mosquées qui possèdent cours, ivâns et minaret, ici le portail s’ouvre sur un long couloir coudé, sombre comme un tunnel, destiné à protéger les fidèles des regards indiscrets. Une fois les yeux habitués à cette pénombre, on peut admirer la finesse des panneaux de céramique bleue.

          

               v Au bout de ce couloir : la salle de prière au décor somptueux. Sur les murs les grands panneaux aux arabesques fleuries sont entourés d’inscriptions de la main de célèbre calligraphe Ali-Rezâ Abbâssi. Le passage du carré au cercle consiste en quatre trompes d’angles descendant jusqu’au sol alternant avec quatre grands arcs de même taille pour former un octogone régulier. Des petites facettes, dont chacune correspond à une fenêtre permettent de passer au polygone à seize cotés. Le mihrab lui aussi suscite l’admiration par ses fines mosaïques de faïence où les bleus intenses dominent.

               v Surmontant cette salle, une coupole de 18,8m de Ø. Celle-ci avec ses faïences vernissées décorées de fleurs noires et bleues, ses arabesques blanches se détachant sur un fond crème ou rose selon l’heure du jour, est un joyau de l’art de la faïence émaillé persane. Intérieurement, la coupole comporte huit couronnes de trente-deux losanges dont les tailles deviennent plus petites au fur et à mesure qu’ils se rapprochent du sommet.

   Deux mollahs et leur famille visitent cette mosquée en même temps que moi, les femmes sont tellement emmitouflées dans leur tchador noir, que je vois à peine même leurs sourcils, quant aux hommes ils roulent les poussettes !!!... Se faire prendre en photo par des non-musulmans n’a pas l’air de les déranger !

      

 

      La visite de la mosquée Lotfollâh terminée, je me retrouve une nouvelle fois sur la place de l’Imam. Plus la journée s’avance, plus celle-ci se remplit, les grelots des carrioles menant leurs clients d’un bout à l’autre, tintent à tout va.

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.          v Saĩdé nous emmène chez Zabaïïn Espanada, une boutique où l’on imprime du tissu à la main. Cet artisanat date des Sassanides (224-642 ap J.C.) Ce commerce se trouve légèrement en retrait de la place. Un homme nous fait une démonstration de son savoir faire, sur une nappe de pur coton, il appose avec précision un tampon encré, créant ainsi un motif. J’imagine le stock de tampons que doit posséder cette boutique ! Ce travail doit être pénible pour le poignet car l’artisan est muni de  protections.

   Chaque bloc, sculpté dans du bois de poirier, présente des motifs en reliefs d’une grande variété, motifs floraux, fleurs, dessins géométriques, scènes de chasses, tournois de Polo, dessins inspirés de Persépolis, etc… Le tissu est blanc ou beige et les motifs sont des quatre couleurs primaires. Les colorants utilisés proviennent de substances végétales  et minérales, comme par exemple : la garance pour le rouge, le sirop du raisin pour le bleu, l’écorce de grenade pour le vert, la gomme tragacanthe fournit le jaune et le brou de noix conjugué  avec la gomme tragacanthe donnent  le noir qui sert à fixer les contours des motifs.

   L’habileté de l’artisan joue beaucoup dans l’application précise et dans le bon ordre, de chaque couleur. Lorsque le travail est fini, les  tissus imprimés sont exposés pendant une heure à la vapeur qui s’échappe d’une bouilloire pour fixer la couleur. Puis on les met à tremper dans des bassins le long de la rivière. Récupérés on les plonge alors dans de grosses chaudières remplies d’eau bouillante et de matières destinées à fixer les couleurs comme l’écorce de grenade et la garance. Ces textiles connaissent aujourd’hui différents usages. On s’en sert comme serviette, nappe, tapis de prière, couvre-lit, mais aussi pour la confection de sacs-à-main, rideaux, coussins ou  vêtements.

       Les formats des tissus imprimés sont très variables, allant de 20 cms à 3m, ils peuvent être de forme carrée, rectangulaire, ronde et ovale.

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   L’ultime visite de la journée sera pour le 4ème  et dernier bâtiment de cette place royale :

          * Le palais Ali Qâpu. (Porte Haute) fût bâti entre 1592 et 1598. A l’origine petit palais timuride, il fut transformé et agrandi par Shâh Abbâs pour devenir l’entrée monumentale des palais royaux. En réalité, la porte monumentale fut rapportée de la ville sainte de Nadjaf pour être installée à l’entrée de ce palais. (Nadjaf est une ville d’Irak où se trouve le mausolée de l’imâm Ali, un cousin du prophète Mohamet, et premier imâm du chiisme). La porte fut donc respectée et vénérée par le peuple. C’est l’arrière-petit-fils Shâh Abbâs ll qui fit construire la terrasse à colonnes et le salon de musique qui furent élevés en 1648.

         Partout les murs ont été décorés de dessins et de peintures murales qui restent un parfait exemple de l’art safavide. (fleurs, oiseaux, arbres, animaux….)  La plupart de ces dessins sont de Rezâ Abbâssi, le toujours célèbre calligraphe.

              v Le palais Ali Qâpu d’une hauteur de 48 m, comporte six étages, auxquels on accède par de petits escaliers en colimaçon et des portes basses. Chaque étage comprend une grande pièce centrale que l’on utilisait pour accueillir et distraire le roi, la cour et les ambassadeurs. Sur la terrasse le roi venait pour regarder les jeux et les festivités organisés sur la place (démonstrations de tir, courses de chevaux, combats d’animaux sauvages…) assister aux matchs de polo, ou encore passer en revue les troupes, tout en buvant des rafraîchissements. La décoration de ce palais consistait en beaux tapis, vaisselle d’or et d’argent en grande quantité, et en pierreries.

         Les salles sont aujourd’hui vides mais les murs et les plafonds portent encore en partie les fresques et les revêtements de faïence d’origine.

      En montant d’étage en étage, on accède à la terrasse aux 18 colonnes qui a conservé l’aspect général qu’elle avait à l’époque de sa construction. Les colonnes, ornées de miroirs, sont taillées chacune dans un seul bloc de platane, elles mesurent 10 mètres de haut et sont disposées en trois rangées régulières de six colonnes parallèles. Quant au plafond de bois il est décoré de marqueterie. Le dernier étage abrite la salle de musique, richement décorée d’alvéoles indispensables à l’acoustique de la pièce. 

     

          Depuis les hauteurs de cette terrasse, de ce tâlâr, je fais comme faisait jadis le roi, je contemple et profite de ce superbe panorama à 180° : la place « Naghsh-é-Djahân » à mes pieds. La mosquée de l’Imam et son dôme turquoise, le bazar Qaisâreh, la mosquée Lotfollâh et sa coupole ventrue, je peux admirer tout ça d’un simple mouvement de tête. Au loin derrière la mosquée de l’Imam les massifs de la chaîne du Zagros rajoutent une jolie touche à ce tableau.

           Dans l’allée centrale, la lignée des calèches noires tranche sur le vert des pelouses.

          Au bord du bassin, deux jeunes filles quoique entièrement revêtues de noir ont l’air de passer un moment agréable, bien dans leur époque, le téléphone portable à la main et les pieds dans l’eau, devant elles, un adolescent immergé à mi-jambe se prend en selfie. Témoignages d’instants de bonheur, reflétant l’image que veut donner Ispahan d’elle même : une ville au pays des mollahs, oui ! mais où il fait bon y vivre.

    

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          Saĩdé a choisi pour le dîner un restaurant dans Djolfâ, le quartier arménien, au « Arc a ». Nous dînons dehors sur une terrasse en bois, dans le patio d’une demeure aux façades magnifiques, motifs sculptés en stucs blancs sur des murs orangé clair, fenêtres et vitraux colorés par où passe la lumière.

   Surprise ! le « Kabâb Mâhitâbei » le plat principal, galette de viande d’agneau haché cuisiné avec des oignons grillés et du jus de tomate est présenté dans un plat à tarte. Simultanément le serveur amène une soucoupe recouverte d’une galette de pain cuit, mais il ne soulève pas cette croûte, il l’a découpe, apparaît alors mijotant sous ce couvercle improvisé, un « polo Kalame » plat préparé avec riz, poulet, jus de tomate, choux grillé, sel, poivre, et curcuma. Original et succulent comme toujours.



     

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                Mercredi 24 Mai 2017.

   Ce matin est prévu une petite immersion dans le quartier arménien.

            * Djolfâ, le quartier arménien et chrétien d’Ispahan, fut établi en 1603 sur la rive sud de la Zâyandeh-rud. Les compétences de ces marchands, entrepreneurs et artistes étant très convoitées (ceux-ci ayant conservé des contacts avec l’Europe), Shâh Abbâs ordonna pour l’embellissement de sa nouvelle capitale le déplacement forcé des Chrétiens (environ 40 000 personnes) de Djolfâ (d’où le nom de ce quartier) Relié à la ville musulmane par le pont aux Trente-Trois Arches et lieu de passage obligé pour les caravanes en provenance de Shiraz et du Sud, Djolfâ devint rapidement un florissant quartier commerçant.

   Sous son règne, celui-ci jouit d’une complète liberté religieuse et d’une certaine autonomie administrative, à condition toutefois que les habitants restent dans leur zone et se tiennent à l’écart des centres islamiques. Des missionnaires s’y installent et construisent des églises (25) et même plusieurs couvents. Les maisons luxueuses rivalisent de beauté avec les palais safavides de l’autre rive. Mais Shâh Soltan Hossein (1694-1722) successeur de Shâh Abbâs plus méfiant à l’égard de l’implantation occidentale, fait persécuter et confisque des biens, freinant l’évolution.

      Actuellement 7 000 à 10 000 Arméno-Iraniens vivent toujours sur place dans la tranquillité. Ils jouissent même de libertés refusées aux musulmans, par exemple les arméniennes n’ont pas obligation de porter le foulard et les chrétiens sont autorisés à fabriquer et consommer de l’alcool, à condition toutefois de ne pas en vendre aux musulmans. Par contre, devant la justice, la parole d’un chrétien, comme celle de n’importe quelle femme en Iran, vaut toujours la moitié de celle d’un musulman.

      Aujourd’hui ne subsistent que treize églises, certaines sont en ruine ou ne sont plus utilisées, faute de paroissiens.


      Saĩdé a prévu de nous faire visiter la Cathédrale Vank, cette cathédrale symbolise l’implantation de l’Eglise arménienne en Iran. Vank signifie monastère en arménien :

          v La Cathédrale Vank est dédiée au Saint-Sauveur, A l’ origine c’était une chapelle construite en 1606, qui devenue rapidement trop petite a été restaurée et transformée en église en 1655.  L’édifice est surmonté d’une coupole de 38 mètres de haut semblable par sa forme à celles des mosquées, mais sa croix au sommet révèle son caractère chrétien, l’intérieur est coloré de bleu et or dans le pur style persan.

        Face à l’entrée, une monumentale statue de l’archevêque Khachatour  Kesaratsi, l’homme qui créa la première imprimerie en Iran. Un peu de laisser aller ! alors qu’aux pieds de cet illustre monsieur devrait jaillir de jolis jets d’eau, le bassin complètement vide laisse entrevoir ses canalisations.

        L’entrée est surmontée d’une plaque en faïence inscrite en arménien et représentant la cathédrale. Ses murs extérieurs sont recouverts de briques qui leur donnent un aspect moderne.

        Dans la cour intérieure, à droite se dressent un campanile ainsi qu’un mémorial en mémoire aux Arméniens tués par les Ottomans en 1915, 1,5 million tout de même ! Contre le mur, on peut voir 64 pierres tombales d’hommes religieux, de consuls de Russie et d’Angleterre, de diplomates et de médecins.


      

    Contrairement à l’Islam qui interdit la reproduction des images humaines, les Arméniens d’Ispahan ont utilisé la peinture pour reproduire sur les murs intérieurs de leurs églises les scènes de la vie de J.C. : la crucifixion, la vie des apôtres et des anges, d’autres tableaux représentent la Vierge Marie et les scènes du paradis et de l’enfer.

   Ce qui frappe dans cette cathédrale ce sont ces peintures macabres qui représentent des scènes de supplices des chrétiens, dont notamment le martyre de Saint-Grégoire l’Illuminateur, fondateur de l’Eglise arménienne. Âmes sensibles s’abstenir ! de quoi donner la chair de poule et provoquer des cauchemars.

    Lorsque l’artiste ne pouvait se déplacer, il dessinait son œuvre sur des toiles de tissu qu’il transportait à Ispahan, une fois celle-ci terminée. Ce fut le cas de ce marchand arménien nommé Avadich qui eut beaucoup de mal à faire accepter ses cadeaux !


    Des cérémonies y sont organisées pour les grandes occasions : la fête de la naissance du Christ, le 6 Janvier, le nouvel an chrétien, la fête de Mamikonian Vardan, commandant arménien et figure héroïque qui a combattu (mort en 451) pour que les Arméniens puissent continuer à pratiquer leur religion en Arménie et ne soient pas obligés de se convertir au zoroastrisme, et enfin, à l’occasion de la célébration le 24 avril du génocide arménien de 1915.


    Dans l’enceinte du sanctuaire se trouvent aussi un musée consacré à l’histoire et à la destinée de ces hommes, une imprimerie ancienne et une bibliothèque abritant environ 10 000 ouvrages (les livres les plus anciens imprimés à Ispahan, les contrats des rois safavides et ghâdjârs et une collection d’objets précieux). De chaque coté de l’entrée du musée se trouve les bustes de deux personnages importants : Mesrop Machtos (362-440) grand et éminent homme politique qui créa l’alphabet arménien sauvant ainsi la langue et la culture du pays et l’archevêque Khachatour Keraratsi  (1550-1646) qui créa la première imprimerie en Iran en 1636.


       

      Pour revenir au bus d’Hamid, Saĩdé  nous promène dans différentes rues de Djolfâ. Ce qui me frappe d’emblée, c’est l’apparence de ce quartier, différent à mon avis de ce que j’ai pu voir ailleurs. Un peu difficile à décrire, mais ici je me croirais presque au centre d’une de nos petites villes de province, sensation peut-être due à l’absence de l’islam.  Ici ce ne sont pas des boutiques de bazar mais des immeubles avec vitrines, je ne vois ni foulards ni tchadors, ça fait moins fouillis, mais c’est aussi plus silencieux, plus calme. On dirait aussi que la circulation y est moins effrénée, le code de la route mieux respecté.  

       C’est sur cette visite du quartier arménien que je quitte Ispahan, Ispahan la belle, Ispahan la douce. Hamid prend maintenant la direction de Kashan, ville située plus au Nord, que je découvrirais dans l’après-midi.

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