*  Mercredi 24 Mai (suite) Désert brun,

     Adieu Ispahan, quel beau souvenir je garderais de toi ! mais je dois continuer mon périple et me dirige à présent vers Kashan distant de 228 kms.  A mi-parcours, Hamid nous offre un dernier café. Pas de coin d’herbe, que de l’autoroute, en Iran il n’y a pas d’aire de repos, ce sont les cours des mosquées qui nous serviront de toilettes, mais ça n’a pas l’air de le  gêner, et c’est carrément à l’intérieur de son mini-bus qu’il prépare et offre son breuvage toujours accompagné de thé et de petits gâteaux

    Nous arrivons à Kashan pour y déjeuner. Point N° 15 carte itinéraire. Le restaurant, le « Siyalk Star » , nommé ainsi en référence à l'une des plus anciennes (fin du 7ème millénaire AV J.C ) civilisations connues, qui se trouve à proximité, est tout l’inverse de ce que j’ai pu voir jusque là, car ce lieu n’est ni + ni - qu’un restaurant à touristes, pas que la bouffe y soit mauvaise ! mais beaucoup trop de monde, plusieurs centaines dans la même pièce. Celle-ci sans aucune décoration, si ce n’est les jolis fauteuils de couleur bleu très kitch, rembourrés, habillés façon jupette, n’a pas d’âme.  Menu sous forme de buffet. Ce qui me stupéfiera, c’est le manque de respect des japonaises, hé oui, toujours elles ! de toutes les femmes présentes, elles sont les seules à ne pas porter le foulard !

       * Kashan, 982 m d’altitude, cet oasis au milieu d’un océan désertique, héberge aujourd’hui près de 300 000 habitants. Autrefois la ville était l’une des oasis les plus prospères d’Iran par où transitaient les caravanes de la route de la soie.  Situé à la limite entre la chaîne montagneuse des Zagros et le désert de Dasht-e kavir, c’était, jusqu’au 18ème siècle,  un centre important de tissage de tapis, de soieries et autres étoffes.

        Sous le règne de Shâh Abbâs 1er (1588-1629) la ville s’embellit, notamment par la construction d’un célèbre jardin. L’invasion des Afghans au 18ème siècle et le terriblement tremblement de terre de 1778, qui fera 8000 victimes et jettera à terre les bâtiments safavides, entameront néanmoins sa prospérité, laissant le champ libre aux constructions de l’ère Qâdjâr. Aujourd'hui la ville est devenue une attraction touristique grâce à ses nombreuses grandes maisons des 18ème  et 19ème  siècles, illustrant les plus beaux exemples de l’esthétique de cette dynastie.  

    A une poignée de kilomètres de Kashan, je m’apprête à découvrir ce qui, dans la plus pure tradition persane, s’apparentait à la représentation du paradis, le : 

                 v « Bâgh-e Fin » (Jardin de Fin)  باغ فین,. Bâti sur les ordres de Shâh Abbâs puis agrandi et en partie reconstruit sous Abbas II et sous Fath Ali, (1799-1834) il devient une des résidences favorites des souverains perses.



   Les attentions apportées par ceux-ci ont amené à un progressif agrandissement et embellissement du jardin au cours des siècles, le comptant ainsi parmi les plus beaux d’Iran. Il réunit des éléments architectoniques des périodes safavide, zand et qâdjâr.

   Ce jardin entouré d’un mur de 2m de haut, protégé d’une tour aux angles occupe une surface de 2,3ha. Il se trouve près de l’importante source de Soleymanieh, la présence de l’eau a conduit les rois de Perse à aménager des constructions pour leur repos, le jardin devait, grâce au bruissement des fontaines et des jeux d’eau des petits canaux déversant dans les bassins de marbre donner une vision paradisiaque, comme un jardin d’Éden.

          Les pavillons visibles aujourd'hui ont remplacé ceux de l’ère safavide et datent pour la plupart du règne de Fath Ali, dynastie qâdjâr. L’ensemble : l’alignement des arbres, massifs, petits canaux, bassins de marbre restent très fidèles au plan original.  

         Le jardin a été ensuite livré à l'abandon jusqu'en 1935, et à l’évidence s’endommagea. Il a été inscrit cette année-là sur la liste du patrimoine protégé d'Iran et en 2011 sur celle du patrimoine mondial de l'UNESCO.

  Le bâtiment d’entrée comprend deux niveaux avec sur la façade les portraits des deux guides suprêmes : Khomeiny et Kameini. La petite porte en bois donne accès à la salle d'entrée proprement dite (hashti), dont le plafond est décoré de tuiles et de briques cuites.

  Après une  balade rafraichissante le long des bassins légèrement inclinés, des vergers finement élagués, des haies de cyprès flirtant avec le ciel, j’arrive au pavillon central, bâtiment de deux étages recouvert de briques de terre cuite et de carreaux de céramique. Ce singulier paysage rassemble tel un peintre sur sa palette le vert des végétaux, le bleu du ciel et de l’eau.

           

Au rez-de-chaussée, des entrées étaient aménagées des quatre cotés, permettant ainsi d’y entrer par n’importe quel coté du jardin. Au milieu de ce pavillon, se trouve un petit bassin alimenté par une canalisation directement reliée à la source, où Shah Safi Ier et avaient l'habitude d’y faire leurs ablutions. Le fond de ce bassin est tapissé de pièces de menue monnaie, en effet  il est de coutume aujourd’hui, d’y lancer une pièce tout en faisant un vœu, pièces probablement étrangères, car l’Iran n’en possède pas, la plus petite coupure étant un billet de 10 000 rials qui, en 2017, équivalait à 0,25€.

   Les voûtes sont recouvertes de faïences dessinant de superbes motifs géométriques.

   A l’intérieur de ce pavillon, un hammam recouvert de jolies mosaïques bleues. Ces bains royaux furent construits, en même temps que le jardin, sous le règne de Shâh Abbâs 1er, rappelant le culte des Iraniens pour la pureté et l’eau, une des institutions les plus vivantes du pays. Il est nécessaire de descendre quelques marches pour y parvenir, car le sol de ces bains se trouve 1m en-dessous du niveau du jardin, ceci pour faciliter l’approvisionnement d’eau pour la réserve d’eau chaude.



          


   En son coeur, nous nous heurtons à un petit attroupement agglutiné devant une vitrine en verre, Sâidé y ayant fait sa place nous permet de découvrir, à l’abri derrière ce vitrage: des mannequins vêtus de costume d’époque représentant la reconstitution du meurtre d’Amir Kabir. Contraste saisissante entre cette mise en scène macabre et le raffinement des lieux. Les jardins Fin sont effectivement restés tristement célèbres, suite à l’assassinat, en 1852, de Mirza Thagi Kan, plus connu sous le nom d’Amir Kabir, chancelier de Nasser al-Din Shah, alors roi d’Iran.

  Amir Kabir qui voulait engager l’Iran sur la voie de la modernisation, ayant des appuis à la cour aida Nasseredin Shah à monter sur le trône. Sa bonne position lui permit de mettre en place de nombreuses réformes, comme, entres-autres, de diminuer de manière draconienne les salaires que les membres de la famille royale recevaient du trésor national, ce qui poussa la mère du Shâh (Mahd Olia) très influente, à obtenir que son fils le démette de ses fonctions et l’envoie en exil à Kashan. Plus tard, profitant d’un état d’ivresse du roi, Mahd Olia et ses assistants lui firent signer l’ordre d’exécuter Amir Kabir, ce qui fut fait avec précipitation, avant que le shâh ne réalise ce qu’il avait fait. Amir Kabir accepta sans résistance l'ordre impérial. Il demanda simplement de choisir de quelle manière il serait exécuté, requête acceptée, on lui coupa les veines.

Désolée pour ce sinistre paragraphe bien loin de ce qu’on imagine être au paradis, mais ce fait est authentique, des mannequins ont été mis là pour que  justement on prenne connaissance de cet acte, et j’estime que les circonstances méritent d’être expliquées, même si en Iran, à cette époque les assassinats de toute sorte étaient monnaie courante.

Revenant sur mes pas, je longe un salon de thé, joli, rafraîchissant, pourvu de banquettes disposées à l’orientale où les familles s’installent pour s’offrir un rafraîchissement ou un moment de détente. En son centre la présence d’un canal rend cet endroit bucolique à souhait.

Ne passez pas à Kashan sans visiter le Bâgh-e Fin, ce jardin historique et figurant sur la liste de l’Unesco vaut vraiment la peine  qu’on s’y intéresse.

   * Sâidé nous amène maintenant dans une boutique où l’on distille l’eau de rose, spécialité de Kashan, l’odorat est sollicité, dans un recoin voici deux beaux alambics. Cette eau est très utilisée en Iran, comme produit de beauté mais surtout comme ingrédient de nombreuses recettes de glace ou de gâteaux. De nombreux commerces la proposent, à foison, dans des bouteilles de multiples formes.


    

        

        * Mausolée d’Ibrahim. Depuis les murs de l’enceinte, quoique le dôme pointu encadré de ses deux minarets les dépassent, rien ne laisse présager qu’à l’intérieur a été construit un palais miniature qui semble tout droit sorti des contes des « Mille et Une Nuits »

   Ce magnifique palais  érigé sous l’époque Qâdjâr (1894) aménagé autour d’un bassin renferme la salle où se trouve le tombeau d’Ibrahim, celle ci  est entièrement tapissée d’une mosaïque d’éclats de miroirs, véritable kaléidoscope lumineux.

    Le tombeau est fait de verre coloré serti de ferrures d’argent et recouvert de calligraphies. Autour du bassin se trouve une cour rectangulaire encadrée de logements pour les pèlerins. Des femmes en tchador viennent s’y recueillir vouant une immense dévotion  à ces personnes disparues depuis pourtant longtemps mais ayant tenu une place importance dans la religion musulmane. Comme quoi, le paradis n’est pas si loin !


      

          Du temps des Qajari, la dynastie qui contrôla l'empire perse de 1785 à 1925, il fût construit de splendides maisons, presque des petits palais, on en compte pas moins de trois cents, dont plus d'un quart aujourd’hui restaurés. Le choix de Sâidé se portera sur l’une des plus belles de Kashan et des plus importantes (5000 m²) la :

   * Maison des Tabataba’i. Maison traditionnelle bâtie en 1881 pour devenir la résidence de la famille Tabataba’i, fabuleux marchands de tapis. Sa construction demanda 10 ans, elle ne comporte pas moins de 40 chambres, 200 portes, 4 cours, 4 sous-sol, 3 evâns, et de nombreuses dépendances, notamment pour la domesticité.



  Cette maison comme la plupart de celles construites à Kashan s’ordonne autour de cours rectangulaires, bordées de deux étages reliés les uns aux autres par des  escaliers aux marches brutes, assez hautes,  de pièces et d’evâns, assemblés par des passages, corridors, petites salles à coupoles.
           Les plans furent conçus selon une architecture bien pensée, s’adaptant à l’environnement désertique : les pièces souterraines, les iwans nord et les petites cours apportaient l’été une fraîcheur bien agréable, tandis que les pièces et iwans orientés vers le soleil, avec de plus grandes fenêtres décorées de vitraux, étaient utilisés l’hiver, jours où la température nocturne pouvait descendre jusqu’à 0°.  

Selon l’architecture traditionnelle persane, on peut y voir des birouni ainsi que des andarouni, (espaces d’accueil somptueusement décorés proches de l’entrée dont l’accès est permis aux visiteurs hommes (birouni) alors que les andarouni sont réservés aux  invitées femmes, cet espace permettait le contact extérieur sans pour autant pénétrer dans l’intimité de la famille)

La porte d’entrée est à peine franchie que je suis subjuguée par cette beauté, au centre de la cour principale, deux grands bassins, des plates-bandes bien vertes, des arbres, évocation du pardis, l’irremplaçable paradis terrestre musulman… démontrant une nouvelle fois le raffinement de la tradition architecturale iranienne ! Quasiment construite de manière symétrique, de n’importe quelle eivân je peux admirer l’autre façade, ses voûtes, ses portiques, ses murs ornés de stucs, cette abondance de sculptures en stucs, quand aux nombreux miroirs encastrés dans la marqueterie, ils explosent de mille feux au moindre rayon de soleil. Cette décoration, qui pourrait paraître à nous occidentaux, exubérante, est caractéristique de l’époque qâdjâr.

      

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Un vaste sous-sol, accessible par une quinzaine de marches, utilisé lors des jours les plus chauds de l’année, est lui également assez orné. Il sert aussi de garde-manger, on  y trouve les cuisines.

Un panneau rédigé en anglais explique qu’à partir de cet espace, des conduits se répandent dans la maison et y apportent de l’air frais.

  Les propriétaires possédaient également des chevaux, très curieusement l’accès de leur écurie se trouve à l’étage, grosse interrogation !!  il se trouve que le terrain où a été bâtie la maison présente un dénivelé de 12 mètres, permettant ainsi un accès direct.


     

Nous quittons ce superbe endroit pour un autre, d’un tout autre genre : une mosquée et sa madrasa.



                          La mosquée-madresseh Aghjâ Bozorg. Molla Mahdi Naraghi ll surnommé par le Shah lui-même Aghjâ Bozorg, signifiant « seigneur des petits et grands » était un très grand philosophe, écrivain, astronome, poète qui étudia avec les plus grands savants de son temps. Il s’était  familiarisé avec l’Occident, sa civilisation, son histoire, ses sciences et avait une relation collégiale et universitaire avec les dirigeants d’autres religions comme le judaïsme et le christianisme. Il est encore à ce jour, honoré comme l’un des principaux dirigeants islamiques de son temps. S’il était possible de faire une comparaison, on pourrait le comparer à l’importance qu’a le pape au sein de l’église catholique.

La mosquée que je visite aujourd’hui et qui porte son nom a été construite à la fin du 18ème siècle en sa mémoire, d’où l’existence d’une madrassah qui abrite les chambres des étudiants en théologie.

Cette mosquée possède deux grands eivân, flanqués chacun d’une cour bordée d’arcades sur deux étages. La porte d’entrée est encadrée de deux badgirs. Une seconde cour en contrebas, où ont été établies les cellules des étudiants, est aménagée en jardin avec des arbres et au centre un bassin.

Depuis l’entrée le coup d’œil sur l’eivân sud est très joli, avec cette coupole ventrue recouverte de briques, et encadrée de deux minarets ornés de mosaïques et de motifs géométriques, coupole qui surplombe la salle du mehrab.

A l’intérieur, la décoration est sobre, se limitant aux seules briques, à part le mehrab qui a été embelli avec des faïences bleues et jaunes, et une voûte à stalactites.

               L’accès à la madrassah nous étant interdite, je me contente depuis les hauteurs de la cour d'immortaliser ces deux étudiants dans une de leurs tâches domestiques.

      

                

    La visite de Kashan se termine, Hamid continue sa progression en remontant vers le Nord, en direction de  l’aéroport de Téhéran, ma dernière étape de ce fabuleux voyage est un hôtel situé au cœur de la ville sainte de Qom. Il reste 115 kilomètres à parcourir.

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