Le canal de Moscou

                  * Jeudi 4 Juillet (suite)  

 

            Après être certain d’avoir bien récupéré tous ses passagers venus visiter la Galerie Trétiakov de Moscou, Le Georgy Chicherin doucement  a pris ses marques, il a quitté l’emblématique Gare fluviale du Nord de Moscou, aujourd’hui camouflée sous les échafaudages, et maintenant emprunte le Canal de Moscou long de 123 kilomètres. Après le brouhaha et les encombrements de la Capitale, j’apprécie le silence du bateau glissant sur les flots, un havre de paix ! (point N° 3 carte itinéraire)

             L’idée de relier la Moskova à la Volga est une idée qui ne date pas d’aujourd’hui, mais de Pierre le Gd en  1722. Les travaux commencés en 1825 s’arrêteront en 1844 faute de moyens. En 1851, la ligne de chemin de fer reliant Moscou à St Petersburg s’ouvrant, le projet tombe donc dans l’oubli.

             Plus tard, Staline fera effectuer en 4 ans et 8 mois, de 1932 à 1937, dans des conditions inhumaines, par plusieurs centaines de milliers de prisonniers du goulag,  du camp de travail correctionnel Dmitfag, des travaux gigantesques pour assurer l’approvisionnement en eau de la capitale : 8 centrales hydroélectriques, 11 écluses, 15 digues en béton ou en terre, 5 stations de pompage et 15 ponts.

                             Grâce à ce canal, mais aussi à ces sacrifices humains, Moscou est aujourd’hui reliée par des voies navigables à cinq mers, la fierté du dictateur !

             Extrait  d’un document d’archives du camp de Dmitfag : « …..Des milliers de gens sales et fourbus barbotaient au fond des fossés dans la boue jusqu'à la taille. C'était déjà le mois d'octobre, novembre et le froid était vif.  Voilà un prisonnier, et là... un autre tombé dans la crasse, ce sont ceux qui sont morts de faiblesse, à la limite de leurs forces. On a jeté les morts sur une charrette et emportés sur des grabats… Regardons: plus proche de la nuit, pour que des témoins ne surviennent pas, … on a tiré du canal des files entières de cadavres, avec leurs vêtements et leur linge troué. Les fosses, longues et profondes, ont été creusées dans un petit bois plus tôt dans la journée. Les corps ont été jetés  lus uns sur les autres dans la fosse…… »


            Natacha, que j’apprécierais particulièrement lors de ses conférences sur l’histoire de la Russie, donne ses instructions par radio, elle nous confirme qu’à 16h30, aura lieu le Cocktail de bienvenue en salle de conférence, avec présentation par Eric, le directeur de croisière, de l’équipage et du personnel. Ca sera à ce moment que nous ferons la connaissance du Commandant qui nous souhaitera une bonne croisière.

            C’est à peine si nous sommes retournées dans nos cabines que sonne l’alarme d’exercice. Beaucoup plus relax que ce que j’ai connu lors de ma croisière au Groenland, ici une petite sirène à peine audible nous demande d’enfiler nos brassières de sécurité et de nous mettre ainsi vêtues devant notre porte. Puis un officier vient vérifier le bon positionnement, le photographe en profite pour faire les clichés et puis c’est tout… retour dans la cabine.

           Que le temps passe vite ! il est à présent 19 heures, nous avons parcouru 49 kilomètres depuis Moscou et voici déjà la première écluse située près du village d’Ignatovo.  Désolée pour Eric qui promettait un moment de détente, de rires et bonne humeur, je lui préfère ce paysage unique.

           Cette écluse à sas  (la N° 6) est descendante avec un niveau de 8 mètres, dans ce tronçon qui relie Moscou à la Volga, elles sont de dimensions identiques : 290m x 30m x 5,50m. Je vous fais grâce de l’explication du fonctionnement d’une écluse,  bon puisque vous insistez  mais je vais faire court !.... déjà ! il faut  que le sas soit à notre niveau, à ce moment là on y entre seul où à plusieurs par une première porte,  ce sas fermé est alors rempli ou vidé, le niveau d’eau monte ou descend, c’est selon ! et lorsque celui-ci est identique à  la rivière,  l’éclusier ouvre la seconde porte, et l’on repart. Est-ce assez clair comme explications !

             Lorsque le bateau est tout en bas du sas, je ressens une impression bizarre, celle d’être emprisonnée dans un coffre, il y fait sombre et le ciel paraît si loin, d’autant qu’on touche presque le bord, car une péniche nous a rejoint. Curieux ces bâtiments de l’époque stalinienne avec ces statues posées sur le toit ! Pour les uns elles représentent des ouvriers, pour les autres des prisonniers du goulag, bâtisseurs de ce canal.

     

           Maintenant c’est une succession d’écluses, de la n°5 à la n°3 (séparées seulement par une douzaine de kilomètres) puis beaucoup plus tard dans la nuit, le Georgy Chicherin empruntera la n° 2, près du village de Tempy, et la n° 1 près de Doubna, un petit peu plus profonde (11 mètres). A partir de là le canal de Moscou cèdera la place à la Volga, ce long fleuve mythique si cher au cœur des Russes. Sur la digue de l’écluse n°1, il paraît que l’on voit très bien un monument de 25 mètres dédié à Lénine, fondateur de L’U.R.S.S. mais pour cela aurait-il fallu que je me lève demain, dès 5h15, pour aller sur les ponts. Ouuppss !


           Après dîner, à 21h30 je décide d’aller assister au concert donné par les chanteuses Svelana et Oxana, tant pis pour l’écluse n° 4 près du village de Galiavino, quant à la n° 5 nous l’avons franchi un peu plus tôt lors du dîner.


           La soirée dansante animée par Serguei ne m’intéresse pas, alors dodo  demain est un autre jour. Un rapide passage par les ponts me permet cependant d’apercevoir très rapidement, avant de rejoindre ma cabine, la reproduction  illuminée d’un joli bateau posé sur le toit de l’écluse n° 3 près de la cité ouvrière Yakhromskaïa.



           Vendredi 5 Juillet. Réveil à 7h30 toujours par le gazouillis des oiseaux et le chant du coq. Nous fêtons les Antoine, la météo prévoit  un temps nuageux avec des températures de 16 à 18°. Pour les plus courageux, ou les plus jeunes, Natacha, une jeune accompagnatrice Croisi-Europe propose une séance de gymnastique « Réveil musculaire »

 

           Le petit déjeuner à peine avalé,  je me rends à la salle de conférence regarder une vidéo qui va  tout me dire sur l’artisanat russe, m’expliquer la fabrication des matriochkas, des boites laquées, la confection des vêtements de fourrure. Olga, (encore !)  la boutiquière nous explique comment échapper aux nombreuses contrefaçons.  J’apprends ainsi que l’ambre baltique est très bon contre les problèmes de tyroïde, qu’un châle tricoté en duvet de chèvre doit être si fin, qu’une fois terminé, il doit passer par le trou d’un anneau. Les femmes qui se réunissent pour réaliser ces chefs d’œuvre emploient pas moins de 48 bobines de fils différents, le dessin doit être symétrique, parfois ce sont des motifs traditionnels qui sont tricotés.

 

          Lorsque le printemps arrive, que la neige à commencé à fondre,  les femmes viennent vendre leur production au marché qui a lieu une fois par semaine dans chaque village, vendeuses et acheteuses se réfugient  alors à l’abri à l’intérieur de la gare de chemin de fer. Le châle est un accessoire indispensable à la féminité russe, chaque femme se doit d’en porter un sur ses épaules, et c’est sur les marchés qu’elles peuvent profiter du meilleur choix « Celui-ci, nous montre une paysanne mesure 1,6m de coté, pèse 100 grammes, et il m’a demandé deux semaines de travail. » Ces tricoteuses peuvent aussi trouver sur le marché les bobines de fil nécessaires pour reprendre les aiguilles, car il n’est pas question pour elles de rester un instant sans rien faire !

 

           Maintenant ! parlons un peu de la Matriochka, le symbole de l’artisanat russe. Le mot matriochka est dérivé de Matriona, prénom populaire dans les campagnes du 19ème siècle. Les matriochkas sont des poupées russes en bois symbolisant la famille, la plus grosse représente la mère de famille, à l’intérieur figurent plusieurs autres poupées gigognes de plus en plus petites, représentant les enfants. Un ensemble de matriochkas est généralement composé de 3 à 10 poupées russes. Les poupées gigognes peuvent avoir divers motifs et couleurs, représenter des scènes de la vie dans les campagnes, des contes et légendes slaves, des paysages, des églises. De par sa conception, chaque Matriochka faite à la main de façon artisanale et 100 % russe, est donc unique, les dessins terminés, elles sont peintes, puis vernissées.

 

         C’est alors qu’une annonce de Natacha nous recommande de sortir sur les ponts..   « Votre attention, s’il vous plaît ! Nous allons passer d’ici quelques instants à proximité du clocher immergé de Kaliazine. » C’est une vision émouvante mais pathétique que de voir ce clocher englouti à moitié au milieu des eaux de la Volga. Haut de 70 mètres, il fait partie de la cathédrale de St-Nicolas (1800) qui était sur la place du marché de Kaliazine aujourd’hui submergée comme la moitié de la ville pour permettre la construction de la centrale hydroélectrique d’Ouglitch.




           Il fut un temps où cette petite ville provinciale ensoleillée et accueillante était pleine de vie. Courant moitié du 19ème siècle, il y avait une entreprise textile, quelques chantiers navals, des forges, les hommes faisaient flotter le bois, les femmes filaient ou faisaient de la dentelle. Cette ville du 12ème siècle était construite autour d’un monastère fondé au 15ème siècle qui recélait des manuscrits rares, tel cet Evangile qu’Ivan le Terrible offrit aux moines.

         Mais en 1940, Staline décida pour réaliser son ambitieux projet, d’engloutir cette ville, il est vrai que cet homme  ne s’embarrassait pas de principes, supprimant de toutes les manières qui soient, tout ce qui lui faisait obstacle, la Volga n’étant pas assez profonde pour la navigation, il détournera 60 rivières, l'élargira, la fera creuser dans des conditions atroces et engloutira ainsi près de 700 villages.


                   Le niveau d’eau s’élevant de douze mètres sur une étendue de 50 kilomètres en amont du fleuve, le monastère de la Sainte-Trinité se retrouva ainsi sous l’eau.

 

           En voguant au-dessus de cet insolite cimetière, j’imagine sans peine le travail si harassant, que beaucoup y laissèrent leur vie, de ces milliers de prisonniers sortis du goulag mais aussi le désespoir de ces gens ainsi chassés de leur demeure. La ville qui héberge aujourd’hui 16 000 habitants, fut reconstruite sur les hauteurs et le  superbe clocher ne dut sa survie qu’au fait que Staline désirait en faire un phare pour la navigation. Ce beffroi qui s’élance vers le ciel rappelle le sort tragique de sa ville. 

 

          En milieu de matinée, nous sommes conviés à une réunion d’information sur la croisière et la vie à bord. Eric prend la parole et raconte :   Dans des temps plus reculés, ces croisières étaient réservées aux membres du Parti les plus méritants, on y faisait aussi venir quelques personnes du bloc de l’Est, Tchécoslovaquie, Pologne, Roumanie, etc…. ceux-ci faisaient des croisières en famille.

 

           « Vous savez ! Georges Marchais  a fait une croisière sur ce bateau en 1972, accompagné d’une trentaine de membres du Parti Communiste,  il ne s’est pas plaint des cabines, mais peut-être avait-il la suite !   on y servait de la vodka à volonté, du caviar à la louche. C’était un voyage d’affaires, un séminaire en quelque sorte, les femmes restaient donc à la maison. A St Petersburg, il a dormi dans l’hôtel ou vous allez déjeuner »

            Puis dans les années 1990, l’effondrement du bloc soviétique entraîna l’abandon de ces bateaux. C’est alors qu’un oligarque russe créa en 2004, avec des fonds privés, la compagnie « VODOHOG », et rénova plusieurs bateaux. Aujourd’hui, exploitant plus de 50 navires de passagers, cet armateur est le principal opérateur de croisière en Russie, on vient du monde entier faire ces croisières.

           « Comme la législation russe interdit à tout étranger de travailler sur les bateaux de navigation, à part moi !..... (engagé par Croisi-Europe qui a affrété le navire) tout le personnel est russe. Ce n’est pas Croisi-Europe qui se remplit le plus les poches avec la location des cabines, mais l’armateur Vodohog qui profite de tous les à-côtés : bars, boutiques, excursions »

           « Ne buvez pas l’eau dans vos cabines, elle n’est pas potable, car traité chimiquement, et vous savez les agents chimiques russes….. Je dois tout de même faire attention à ce que je dis, car j’ai à mes cotés Olga, (eennccoore….) mon assistante russe qui comprend bien le français, elle est mon œil de Moscou .… »

            Eric nous demande alors si on connaît le nom de la fenêtre de la cabine, nous explique comment l’ouvrir. « Toutes les ouvertures qui sont soit carrées, soit rectangulaires sur un bateau sont appelées  sabord » Il nous parle du journal de bord, de bien respecter les horaires, surtout   le « dernier retour à bord » après une escale, car dit-il « Les écluses sont soumises à des horaires impératifs, nous en aurons 17 durant la croisière. » « Le bateau est bien entendu non-fumeur, surtout ne fumez pas dans vos cabines, les officiers de sécurité surveillent, et ça ne rigole pas, le plus grand danger sur un bateau c’est l’incendie, les fumeurs disposeront d’un petit espace avec cendriers »

            Il met en garde contre la mauvaise qualité de la vodka et du caviar dans les échoppes des commerçants près des escales, et propose de le commander à « la Maison du Caviar » à St Petersbourg, « Là ça sera de la bonne qualité ! compter 148 € les 100 grammes » La vodka, la  Nash Perevod (Notre tradition) sera vendue directement au bar à 20 € la bouteille.

            « Je vais aussi, si ça vous intéresse, demander au commandant s’il est possible de visiter la passerelle, ça se fera uniquement sur le lac Onega, » Puis il termine en nous disant quelques mots sur les différentes escales à venir : Ouglitch, Iaroslavl, Goritsy, Kiji, Mandrogui. C’est donc parti pour cinq jours de navigation et 2000 kilomètres de voie fluviale. Les villages laissent parfois entre-apercevoir entre les frondaisons de bouleaux, de pins, les coupoles bleues ou dorées de leurs églises. Je suppose qu’ici la faune doit encore être sauvage.

           Ca devient difficile de combiner repas et écluses, car au beau milieu de celui-ci, voici qu’apparaît celle d’Ouglitch. Tant pis je quitte la table à temps pour passer sous un arc de triomphe commémorant la victoire de la Russie sur l’Allemagne, quelle merveilleuses architecture ! Nous sommes  alors à 264 kilomètres de Moscou.

     

           D’ici une trentaine de minutes, nous allons accoster pour la première fois de cette croisière. « Faites attention, nous prévient Eric, car il peut arriver que plusieurs bateaux soient à quai, il faut alors passer de l’un à l’autre, dans ce cas regardez bien dans lequel vous vous installez »  Le problème sera vite réglé, car au niveau de l’accueil, sur le flanc un panneau « Bienvenue à bord du Georgy Chicherin, Croisi-Europe » est bien visible. « N’oubliez surtout pas de rendre votre clé de cabine, et de bien faire attention à votre précieuse carte d’embarquement »

           Depuis le bateau, j’aperçois déjà les cinq coupoles bleues étoilées de l’Eglise Saint-Dimitri-Sur-Le-Sang, c’est magnifique !

           Voilà ! après avoir suivi les recommandations, je suis fin prête pour visiter Ouglitch, ville charmante de la Russie profonde.

           Je vous donne rendez-vous pour découvrir avec moi ce bijou, lors de la page suivante. Allez, go !

       Ouglitch