Mercredi 11 Décembre 2019
(suite)
Depuis l’orphelinat de Huong Dong près de Can Tho, une petite cinquantaine de kilomètres me mène à ce joli parc, verdoyant, reposant, du moins en apparence, car derrière ses grilles vivent quelques dizaines, que dis-je ! quelques centaines, voir des milliers de crocodiles (point N° 16 carte itinéraire) Cette ferme d’élevage est située à une poignée de kilomètres au Sud de Long Xuyèn, une bourgade située non loin de la frontière cambodgienne.
Je m’apprête à
déjeuner dans le restaurant de cette ferme, après avoir traversé un grand
jardin où
la statue d’un crocodile au
ventre bien potelé, campé sur son postérieur me souhaite la bienvenue, puis de
beaux jardins rocailleux ou de magnifiques gros poissons rouges s’éclatent sans
se douter que tout près d’eux vivent leurs pires ennemis.
Le jardin se laisse admirer, avec ses bonzaïs et arbustes divers, son bâtiment genre pagode, son pont japonais, ses lampions.
L’apothéose
viendra lorsque je parviens à cette salle en passant sous une verrière d’où
pendent d’innombrables glycines, mais surtout lorsque voulant prendre ma place,
je frôle…..
...ces grands bocaux simplement posés sur une étagère à coté des
tables,
ceux-ci sont remplis d’alcool, mais aussi de serpents et autres animaux
répugnants, qui vu leur posture, me paraissent vivants, j’en ai froid dans le
dos !
Désolée, je n’ai pas noté le menu, mais la spécialité de ce restaurant étant de servir du crocodile sous différentes formes, il y a fort à parier que c’est ce que j’ai mangé.
Le déjeuner achevé, je m’apprête à découvrir cette ferme unique dans le delta du Mékong, une des cinq que contient le pays, la plus grande semble-t-il ! Elle fait partie d’une association qui protège les animaux sauvages, un quota est accordé à la vente.
Coricoco .…cocorico..
en voilà un qui n’a pas
peur d’être dévoré par ses cannibales de voisins, car il nous accompagne en
chantant à tue-tête
Une devinette ! sauriez vous différencier un crocodile d’un alligator ? Personnellement, j’avoue bien humblement que jusqu’à ce jour je ne le savais pas.
La tête de
l’alligator a un museau large et plutôt arrondi en forme de U, celle du crocodile
est fine et pointue en V. On ne voit pas les dents du premier lorsqu’il a la
gueule fermée, contrairement au second qui laisse entrevoir les deux dents de
sa mâchoire inférieure, mâchoire qui contient pas moins de 40 paires de dents.
L’alligator ne vit qu’en eaux douces, tandis que le crocodile peut vivre
indifféremment en eaux douces ou salées.
Et maintenant ….. pourriez vous reconnaître le mâle de la femelle ? « facile » dit Chû tu parles ! même en regardant bien je n’y ai point vu la différence « Les femelles ont la peau foncée, un peu noire, celle du mâle est plus claire, un peu jaune, celle que le monde entier préfère »
Ici vivent 4000 crocodiles entassés
les uns sur les autres, dans divers enclos. Ils ont entre 4 et 7 ans lorsqu’ils
sont tués pour être dépecés, opération qui je l’espère sincèrement, est
effectuée correctement. « C’est aujourd’hui fait dans des abattoirs »
nous rassure Chû, infos ou intox ? Car ne nous leurrons pas, le crocodile
n’est élevé que pour sa peau, qui produira des sacs, des portefeuilles, et
d'autres articles « de luxe » vendus par Louis Vuitton et d'autres
marques.
Lorsque commence la saison des amours qui dure quatre mois, un couple se cherche, se forme et lorsqu’ils se sont trouvés, s’entourent dans l’eau, signifiant qu’ils sont bien ainsi.
Pour pondre ses 50 à 60 œufs, la femelle cherche à s’isoler elle va choisir une case, il arrive que plusieurs femelles se battent pour une même case. C’est alors qu’intervient le soigneur, avec une perche, il va taper fort sur l’endroit le plus sensible de l’animal, le bout de son museau, le crocodile agacé va alors aller dans l’eau, c’est à ce moment que l’employé intervient, après avoir passé par un sas, il va récupérer les œufs qui seront ensuite mis en couveuse.
Pour n’avoir que des mâles, il faut programmer la couveuse à plus de 33°, dans le cas de températures inférieures, on n’aura alors que des femelles, c’est idem dans la nature, mais cette dernière, plus conciliante, laisse le hasard décider, contrairement à l’élevage. Au bout de 100 jours naîtront les bébés qui seront rapidement séparés des mères, et sélectionnés par âge, celles-ci qui n’ont pas l’instinct maternel auraient plutôt tendance à les dévorer, mais quel comportement de cannibalisme ! Ici dans la ferme, les chances de survie des bébés sont de 90%, contre seulement 10% dans la nature. Les soigneurs s’occupent de chacun d’eux en les nourrissant jusqu’à l’âge de trois mois, ensuite ceux-ci se débrouilleront seuls.
L’enclos où nous passons actuellement renferme
environ 300 de ces jeunots de quelques mois. Je vous l’accorde… là ils sont
bien mignons, on en prendrait bien un dans nos poches …
« Le plus âgé de nos pensionnaires a 20 ans, il pèse 300 kilos et mesure 4 mètres de long. L’espérance de vie d’un crocodile est d’environ 70 ans »
Pour la viande, les pattes sont le meilleur morceau, quant à l’utilisation de la peau, on préfère le ventre. Le crocodile se prélasse toute la journée et chasse la nuit, car ses fragiles yeux ne supportent pas les rayons du soleil, c’est pourquoi on les voit toujours les yeux fermés semblant paresser sur ces plateformes bétonnées ou carrelées.
Ils sont si
immobiles, même avec la gueule grande ouverte, que je les crois statues de
pierre, lorsque tout à coup, j’en vois un, puis deux ou trois qui,
nonchalamment, glissent dans l’eau.
« Deux heures dedans, puis deux heures en dehors » nous dit Chû.
Ce sont des animaux à sang froid qui ont besoin de soleil pour réguler leur température.
Ici, à l’élevage, les soigneurs connaissent l’âge des animaux, mais dans la nature, comment font-ils ? Hé bien, on leur coupe une dent, l’intérieur de celle-ci présente des cercles indiquant son âge, comme c’est le cas pour un arbre. Tiens, en parlant de dent ! Chû nous confie que lorsqu’un crocodile s’en casse une, une autre pousse, et ceci durant pratiquement toute sa vie.
Ils sont nourris de viande et de poissons, comme ceux qui n’ont pas été vendus par les paysans lors du marché de Caï Rang, par exemple. Le crocodile ne mange qu’une fois par semaine et 1/10ème de son poids,
Avec sa puissante
mâchoire qui nous broierait en moins d’une seconde, le crocodile maintient sa
première place au livre des Guinness,
Après une déambulation parmi les divers enclos de ces charmantes bestioles, place maintenant à la boutique, où il est vendu des sacs, des ceintures, etc… en peau de croco, il va sans dire ! « Tout achat est accompagné d’un certificat d’authenticité permettant de franchir les douanes » sinon confisqués le sac ou les chaussures !
· La visite terminée de cet élevage, nous voilà de retour dans le bus en direction du dernier hôtel au Vietnam : Chau Pho à Chau Doc, ville située à la frontière cambodgienne.
Chû nous parle de son prénom donné par son père, qu’il
trouve démodé « Vous n’avez pas vu beaucoup de Chû durant votre voyage,
parce que Chû est unique ! Thang (victoire) Long (dragon) et Dung
(courage) sont des prénoms énormément donnés, mais pas Chû ! »
Quand on pense à ce que ce nom signifie en France, je puis t’assurer Chû que tu
as toute notre estime. « Qu’ il est chou, c’est un vrai petit
chou !... » Il nous parle également du trafic avec le Cambodge où
les cigarettes et les pièces détachées des scooters y sont moins chères, tous
les jours beaucoup de gens, les poches pleines, passent la frontière. Comme les
jeux d’argent sont interdits au Vietnam, les Cambodgiens ont fait express,
d’après lui ! d’en construire à la frontière, incitant les vietnamiens à
faire l’aller et le retour pour se divertir.
Une romance envahit l’espace, « Bonjour
Vietnam » de Quynh Ann Pham,
chanson qu’il nous a fait connaître il y a de cela déjà une semaine. Une
chanson « Adieu Vietnam » aurait été plus de circonstance … Il aurait
voulu nous faire pleurer qu’il n’y serait pas pris autrement !...
A l’entrée de
l’hôtel, un panneau nous souhaite, comme ce fût souvent le cas, la bienvenue. Une
fois l’installation faite, là encore en temps record, Chû nous propose, pour notre
dernière sortie ensemble une petite balade pédestre.
Ce parcours me fait
passer devant Dinh Thàn, un temple très ancien dédié à Nguyen Huu Canh, de
découvrir en bordure de la rivière Chau Doc, ces coques de bois, rudimentaires
habitats des gens vivant de la pêche.
Cette esplanade est un endroit de promenade, de jeux pour les enfants, nous en rencontrons d’ailleurs quelques uns qui viennent de pratiquer un des nombreux arts martiaux usités de la région. Un peu plus loin c’est un marchand ambulant qui rentre chez lui en poussant sa charrette encore pleine de légumes.
A l’endroit où
les deux rivières Chau Doc et Bassac, se rejoignent, a été construite,
s’avançant sur l’eau, une statue d’acier de 14 mètres de haut, pesant trois
tonnes « Basa Chau Doc Fish Monument » Cette structure qui
change sans cesse de couleur représente le poisson-chat basa, elle a couté
près de 2 milliards de dongs, et a une valeur symbolique énorme, en effet c’est
grâce à ce poisson chat, pêché en quantité illimitée dans les eaux du delta du
Mékong, parfois même sous les maisons construites sur pilotis, que la région
connaît une activité florissante.
Avant d’aller nous coucher, Chû nous recommande de prendre un petit pain supplémentaire au cours du petit déjeuner, car dit-t-il « Demain, midi, ça sera un panier pique-nique à bord du bateau, je ne voudrais pas que vous manquiez » l’attention est charmante.
Jeudi 12 Décembre 2019
Que vois-je depuis ma fenêtre en tirant les rideaux à 5 heures, sur un court parfaitement éclairé, une demi-douzaine de personnes jouant au tennis, y ont–t-elles passé la nuit, ou se sont-elles levées encore plus tôt que moi ?
Le moment est émouvant, nous devons à présent quitter ce charmant jeune homme qui fut pour plusieurs d’entres-nous, un véritable fils.
Chû, s’il t’arrivait d'aventure de lire ce récit, saches que tu fus pour nous tous un rayon de soleil, attentionné, à l’écoute de chacun, anticipant les problèmes. Ta sincérité, ton organisation sans faille et ta bienveillante écoute ont fait que j’ai effectué un séjour comme rarement cela m’est arrivé, et je pense pouvoir dire sans trop me tromper, que c’est l’avis de chacun d’entre-nous. Grâce à ton investissement personnel, la croisière nocturne sur le fleuve Saigon, qui n'était pas prévue, restera pour moi inoubliable. Nous avoir fait connaître ta petite famille a aussi été un moment vraiment très agréable. Tous, on te regrette déjà ! ……….
Mais laissons tout de même une chance à Bunthorn, notre guide cambodgien, qui va avoir la lourde charge de te succéder, de devoir faire presque….. aussi bien que toi.
Le bateau est
parti... nous laissons Chû non pas sur un quai de gare, mais sur un embarcadère. Il
agite son bras dans un au-revoir chargé d’émotions. D'ici quelques secondes il
ne sera alors plus qu’un petit point.
Adieu Chû !