Mardi 3 Décembre 2019. (suite)
Il est à peine
13 heures, me voici arrivée à l’embarcadère pour effectuer une croisière en
jongue en baie d’Halong, il fait un soleil radieux, la température doit
osciller dans les 25 °, franchement que demander de mieux !
J’éprouve un sentiment de plénitude
à la vue de toutes ces jongues alignées derrière un rideau de palmiers, waaouh…
je vis un rêve éveillé, quoique celles-ci sont touristiques et non plus
traditionnelles comme elles pouvaient l’être, cousues à la main avec leurs
voiles. (point N° 3 carte itinéraire)
Voyant tous les cars de tourisme je me doute bien que je ne serais pas seule à naviguer en baie d’Halong, c’est à espérer qu’il y aura tout de même assez de place pour tout le monde, et qu’on ne se retrouvera pas tous au même endroit, au même moment ! Beaucoup d’Américains d’après Chû.
Mais le gouvernement veille, c’est ainsi que ce ne sont que 650 jonques qui sont habilitées à sillonner la baie, recevant chaque année 10 millions de visiteurs. 400 font la visite dans la journée, alors si je compte bien, n’en reste plus que 250 qui ont des couchettes permettant de passer une, voir deux nuits dans la baie, et je suis parmi celles-ci, alors j’ai bien l’intention d’en prendre plein les mirettes, d’autant qu’il paraît que cette magnifique baie est très, mais très souvent dans la brume.
Hier soir, Chû nous avait demandé de préparer un petit sac pour la nuit, « car, dit-il, les grosses valises sont trop encombrantes pour êtres chargées dans les jongues, celles-ci resteront dans le car »
A profusion à l’embarquement, quoiqu’elles peuvent être différentes, la plupart sont de la Compagnie d’Etat, les marins sont des fonctionnaires, parfois tous de la même famille. D’une contenance de 7 à 8 cabines, il nous en a été alloué deux, L’intérieur tout en bois est superbe, un grand lit et un petit cabinet toilette (douche et lavabo) tout à coté, n’y manque que les voiles pour faire colonial !... Les cabines sont tout en bas, au ras de l’eau, au-dessus, c’est la salle à manger, et encore au-dessus un pont-panoramique, abrité en partie.
Nous nous
retrouvons, en pleine mer, tous pour le déjeuner sur la plus grande. Pour permettre
ce transfert, les jongues se sont amarrées cote à cote « Allez,
courage, un petit saut !
» mais non, rassurez-vous, les
matelots aident à passer de l’une à l’autre, ce qui se fera à plusieurs reprises
sans souci.
Au repas, nous
avons droit à des palourdes accompagnées d’ananas, succulent !
Puis les deux jonques partant en navigation, c’est alors temps libre depuis le pont panoramique pour contempler, admirer et encore regarder, partout, partout. Le spectacle est infini, nos deux jongues se faufilent entre pitons fantomatiques et montagnes englouties, c’est presque à croire que nos marins ont choisi un itinéraire bien spécial, peut-être pas le plus touristique, car nous ne voyons pas grand monde, et c’est tant mieux ! je ne vois pas non plus les maisons colorées du village flottant de la baie ? fort heureusement cette lacune sera comblée plus tard, sur le lac Tonlé Sap au Cambodge.
Les français avaient baptisé quelques ilots, les Vietnamiens ont fait de même, ainsi on peut admirer Hon Dau (la tête humaine) Hon Ba (la vieille dame) Hon Dinh Huong (le Brûle parfum).
Nul doute que la baie d’Halong d’une superficie de 1500 km², inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en 1994, est l’une des merveilles du monde, d’ailleurs n’a-t-elle pas été élue en 2011 comme l’une des sept nouvelles merveilles de la nature, et le cinéma ne s’est-il pas fait plaisir, en tournant dans ce paysage fantastique, ce chaos irréel de pitons rocheux, le film culte « Indochine » !
Ce sont près de
2000 îles karstiques aux nombreuses criques, plages, lacs, cavernes, grottes,
qui émergent de ces eaux de jade, parois abruptes qui dominent une eau souvent
calme, en faisant une des plus importantes destinations de tourisme.
Chû est fier de nous faire savoir que la baie a été une seconde fois inscrite au Patrimoine de l’Unesco en 2011, car on lui a alors découvert une immense valeur archéologique, des grottes avec la trace d’une vie humaine : dents fossilisés, os, coquillages datant d’au-moins 10000 ans ce qui pourrait signifier que la baie était à l’époque reliée à la terre.
Vous voulez connaître
la poétique légende, racontée par Chû :
« Les Chinois (les gens du
Nord) attaquaient souvent le Vietnam, un jour l’Empereur de Jade, qui dans la
culture chinoise est un génie qui habite dans le ciel, le dieu des dieux, voyant
comment les chinois étaient méchants et faisaient subir mille maux au peuple
vietnamien, à ordonné à une maman-dragon, l’animal légendaire le plus puissant
du pays, de descendre pour sauver son peuple, cette maman a rassemblé ses enfants,
êtres merveilleux et bénéfiques. En descendant, ceux-ci ont craché des perles
de feu qui se sont transformées en cette multitude de rochers, sous le nez des
envahisseurs, d’où le nom de Ha (descente) Long (dragon) »
La baie d’Halong, veut donc dire « La descente du dragon » Les enfants sont descendus dans la Baie Tu Long, signifiant : petits dragons s’amusant dans la mer.
Aujourd’hui des millions de garçons portent le prestigieux prénom de Long, les filles celui de Jade, qui signifie vertueuse, précieuse. Les parents donnent à leurs enfants des prénoms correspondant à leurs souhaits : Thang (victoire) Dung (courage) Vang (or)
« Ma femme se prénomme Linh, ce qui signifie Lumière, ma fille Van : beau nuage qui voyage dans le ciel. J’ai une amie qui se nomme Lan, qui signifie Orchidée, Hong veut dire la Rose. Si vous demandez à un Vietnamien l’origine de son prénom, il sera fier de vous expliquer, car tous les noms ont une signification : intelligence, courage, honneur, etc… »
Mais je m’écarte
du sujet ! revenons à la naissance de ces ilots, l’histoire que je vais
vous raconter sera certes moins poétique, mais plus vraisemblable : Ces
cônes, aiguilles rocheuses, pitons ou collines, sont nés il y a des millions
d’années, de l’érosion d’un épais plateau sous-marin remonté à la surface.
Dans la région du golfe de Tonkin, les aiguilles de calcaire qui se dressent en parois presque verticales, ont pour origine un dépôt de sédiments fossilisés sur le plancher océanique. Soulevé et fracturé par des mouvements de la croûte terrestre, il a été dissolu par des pluies acides. Les eaux de ruissellement ont alors creusé de profondes tranchées, de vastes cavernes et des gouffres, sculptant dans les rochers d’étranges reliefs, l'effondrement de certaines grottes a complété la formation du paysage. Ce phénomène né des caprices de l’eau est nommé karst.
La baie d’Halong a joué un rôle très important, au 10ème siècle, pour l’indépendance du Vietnam, ça ne se voit pas, les guides papier en parlent peu et pourtant !... Vous trouverez ces informations sous le titre Bataille de Bach Dang 939, pas celle de 1288 qui s’inspira de la première et eut les mêmes résultats « Les chinois nous ont attaqué, colonisé, depuis l’an 179 avant J.C » c’est peu de dire que ça a fait un bail !
Les faits : Un jour d’hiver en 938, le général Ngo Quyen décida de jouer de ruse. Sachant que les chinois, connus pour être de bons marins qui, avec leurs grands bateaux remplis de nourriture, de chevaux, de soldats, effrayaient par leur insatiable soif de conquête, tous les pays voisins, pouvaient arriver par deux chemins, la voie terrestre et la voie maritime, cette dernière était la seule qui leur permettait d’apporter le ravitaillement. Donc, Ngo Quyen piégea la baie en ordonnant à ses soldats d’enfoncer, à marée basse, dans le lit du Bach Dang, près de Haipong, des milliers de pieux aiguisés et recouverts d’une pointe de fer, juste assez pour être invisibles à marée haute. Hors selon les saisons, il peut y avoir une différence de 4 mètres entre marée haute et marée basse. Pour la réussite de l’opération, il fallait donc être très stratège, attirer l’ennemi à marée haute lorsque les pieux étaient cachés et connaître les horaires de marée pour savoir que lorsque l’eau descendrait, les navires ennemis soient bien positionnés au-dessus de ces mêmes pieux. Circonstances très incertaines, car il ne fallait pas que l’ennemi arrivât à marée basse, il aurait alors vu les pieux, ni qu’il naviguât à marée haute, car il aurait passé au-dessus. Par conséquent, pour que ce stratagème réussisse, il a fallu préparer le terrain secrètement et rapidement, leurrer l’ennemi et l’attirer au bon moment.
Le jour et l’heure J, les vietnamiens font semblant d’avoir perdu. Avec des petits bateaux à fonds plats, les sampans, ils se faufilent et attirent les chinois vers la baie, à la nuit tombée, leurs lourds navires de guerre les poursuivent et s’éventrent sur les pieux ferraillés, lorsque le niveau d’eau baisse. Les soldats vietnamiens leur lancent alors des flèches de feu et brûlent l’intégralité des bateaux chinois qui se sont retrouvés piégés au milieu du fleuve, la moitié des soldats périrent noyés. L’armée terrestre avait bien réussi à atteindre Hanoï, mais ils en furent vite chassés, les bateaux de ravitaillements n’ayant pu parvenir jusqu’à eux.
A la suite de cet exploit, le général et héros Ngo Quyen se proclama roi du Dai Viet sous le nom de Ngo Vuong. La victoire de Bôch Nang a marqué le début d'une nouvelle ère pour le peuple vietnamien, qui a entrepris des efforts de reconstruction et de restauration à grande échelle. Cette époque connût un âge d'or avec l’instauration de puissantes dynasties, qui résidaient à la Citadelle impériale de Thông Long (future Hanoï) notamment la dynastie des Ly qui transforma le Vietnam en Etat souverain.
C’est pourquoi les Vietnamiens considèrent la Baie d’Halong comme ayant changé l’histoire de leur pays, car elle a permis de se soustraite de la tutelle chinoise qui les asservissaient depuis 1200 ans.
Les Français ont récupéré dans le fleuve et dans les grottes beaucoup de piques en bois, certaines cavernes de la baie d’Halong portent le nom de « grottes des bouts de bois » Dans l’île des Merveilles, nom donné par les Français on a retrouvé quelques pieux de cette bataille.
Il est 16 heures, la jonque va accoster sur une petite île, Titov Island, située à 7 kms environ au SE de la baie d’Halong. Cet ilôt a été ainsi nommé en hommage à l’astronaute Titov qui a accompagné le président Ho Chi Minh lors d’une visite en 1962. Celui-ci séduit a promis de revenir, promesse qu’il tiendra en 1997, d’ailleurs une grande statue à son effigie est installée sur le croissant de plage. C’est semble-t-il, le rendez-vous des croisiéristes.
Chû nous donne une heure de temps libre, en ce qui me concerne, ça me paraît bien compromis pour aller au belvédère, car ce ne sont pas moins d’environ 430 marches qu’il faut grimper pour y arriver. Et puis je commence à monter, lorsqu’encouragée par Annie qui reste derrière moi, grand merci à toi, je monte marche après marche, si au début elles sont faciles, l’ascension devient de plus en plus difficile, marches raides, parfois sans rambardes pour se tenir, grossières, inégales.
Enfin j’y
suis ! j’ai mis beaucoup moins de temps que je ne l’aurais cru, à peine 20
minutes, et je puis vous assurer que ça valait le coup, bon ! il est vrai
que là-haut, tenir à trente sur une sorte de terrasse couverte d’à peine 15 m²,
emplacement qui offre une chouette vue sur la baie d’Halong et ses nombreuses
jonques, n’est pas très aisé.
Les Chinois qui tiennent à leur selfie sans personne
d’autres qu’eux dessus, n’hésitent pas à même te pousser, non mais ! je ne
bougerai pas ! du moins le temps de la photo, j’ai chèrement gagné ma
place. Merci à Annie d’avoir pu prendre ce magnifique cliché.
Allez je vous la laisse la place ! je vais de l’autre coté contempler un soleil qui n’est pas loin de flirter avec la montagne, seul regret, je ne peux rester à attendre qu’il se couche, il me faut redescendre les 430 marches, ce qui se révèle être moins compliqué qu’à monter, certes, mais requiert tout de même une grande prudence.
Petit conseil, si vous avez un bâton pliable, ne
faites pas comme moi, ne le laissez pas dans votre valise car aussi bien
dans un sens que dans l’autre, il m’aurait été bien utile. L’espace de baignade
est délimité, il semblerait qu’il y ait des méduses.
La journée se
termine. Redescendue, je profite de ce ballet des jonques et bacs regagnant les
côtes, l’astre commence à darder ses rayons de soleil couchant sur ce beau
paysage, je me régale jusqu’à ce que Chû, en donnant le signal du départ,ne rompe ce bel enchantement !
Je retrouve la
jonque et prend possession de ma cabine, lorsque .... « Flûte, je n’ai pas de
lumière ! » La réparation prend du temps, beaucoup de temps... près d'une quinzaine de
minutes, Chû ne voulant sans doute pas me laisser seule dans le noir, et de plus à bord d'un bateau !
reste à mes cotés le temps nécessaire.
Arrive l’heure du
dîner. Après que Chû nous ait fait voir comment réaliser des rouleaux de
printemps, chacun dégustera celui qu’il aura fabriqué, hé bien ! je crois
que je vais me passer de dîner
et pourtant ce n’est pas très
compliqué, d’autant que tous les ingrédients sont déjà posés sur la table.
Le rouleau de printemps est une spécialité de la culture vietnamienne, consommée en apéritif ou entrée. Enroulée dans une feuille de riz crue, la base est constituée de vermicelle de riz cuit, la garniture est variable, du porc, du bœuf, des crevettes, du poulet, du poisson…
Ce soir nous avons de la carotte, du chou, du
concombre, des sauces, des lamelles de poulet, des crevettes. Il faut poser les
ingrédients sauf les crevettes sur la feuille de riz, rabattre le bord de la
feuille, la rouler bien serrée, et avant de faire le dernier tour, intégrez les
crevettes, la partie rosée vers le bas, facilitant ainsi, grâce à la transparence
de la feuille de riz, leur vision. Ces rouleaux de printemps peuvent être
trempés dans une sauce dont seuls les chefs cuisiniers vietnamiens ont le
secret ! sauce soja, sauce nuoc-mâm.
Le bar propose toutes sortes de cocktails, le mojito est à 5 €. La table est dressée pour six
personnes, les serviettes sont pliées à la façon jongue. Chû nous en explique
le pliage, et je réussirais, quelques jours plus tard, à Noël, ce tour de magie
qui impressionnera mes convives.
Le repas se
poursuit par la dégustation de fruits de mer et d’huitres farcies,
délicieux !... Superbe présentation que ces carottes façonnées en tulipes,
ces crevettes posées sur le bord du verre. Les lumières s’éteignent, tiens donc !
fêterait-on un anniversaire ? hé non ! c’est la tradition du
restaurant, quoiqu’en regardant la fiche des participants, deux personnes ont eu
le leur pendant le voyage, sans que rien ne se soit passé. On apporte à chaque
table un ananas dont la base est éclairée, des nems sont piqués en éventail
dans les écorces du fruit.
Comme avant chaque dîner, Chû nous dit « Bonne
nuit, à demain » Mais ce soir, dormant avec nous dans la jongue, il
aurait pu rester un peu avec nous ! mais ça c’était sans compter sans le
football, qui comme en France, rallie les gens autour d’un poste de télévision.
Le Vietnam est alors en quart de finale d’une Coupe d’Asie, le match est
retransmis sur un téléviseur installé sur le pont de la jonque d’à coté, ils sont
tous là, les marins des deux jongues mais aussi Chû et Dat. Malgré le silencieux
environnement, la soirée ne sera pas très calme, car le Vietnam s’est qualifié pour
les demi- finales.
Je sors profiter de ce spectacle des jonques éclairées en baie d’Halong.
Demain, après un peu de navigation, nous devrions aller visiter une des grottes de la baie, puis continuer notre périple dans ce Nord du Vietnam.
Bonne nuit à demain !