Esquimonaes

          *  Jeudi 13 Septembre. Cette nuit, l’Ortelius a continué sa navigation depuis la baie de Dove vers le Sud, le long de la côte Est du Groenland. La mer est formée avec des vents de 30 nœuds, c’est peu de dire que le bateau a tangué cette nuit et tangue toujours autant ce matin !

          La prochaine destination programmée est Esquimonaes, distant alors de 200 miles marins. Cela prend du temps, beaucoup d’heures supplémentaires de navigation, notre chef d’expédition nous en explique la raison : le bateau a dû s’écarter et passer bien à l'Est, après l’île de Shannon, la banquise côtière étant encore présente. On voit très bien cet écart, sur le tracé effectué par les guides. (point 15, tout en bas )


         Tous ces retards accumulés : l’ilot Charles XII au nord du Spitzberg (non prévu), la lente navigation à plusieurs reprises dans  la banquise, les importants écarts de route dus à cette même banquise ainsi que l’avance que nous allons devoir prendre, en prévision d’une  traversée impétueuse Groenland-Islande font qu’on fera l’impasse sur le Keyser Franz Joseph Fjord, pourtant pièce maîtresse de ce voyage. « Fjord aux paysages très spectaculaires> » c’est ce qui est noté dans le carnet de bord fourni avant le départ, mais ça on ne le saura que plus tard.


          Pour s’excuser de ce chamboulement, Jonathan un peu mal à l’aise,  le répètera  à maintes reprises « Le programme n’est qu’indicatif, il est variable en fonction de la météo, de la carte des glaces »  pour s’excuser dis je  ! : il prévoira des débarquements en bordure de fjord, tels qu’aujourd’hui Esquimonaes et demain Myggbukta, ces deux escales non prévues étaient elles indispensables ? ne pas les effectuer aurait-il permis de pénétrer, ne serait-ce même qu’un peu dans le fjord Franz Joseph, ou encore aurait-t-on pu être déposés sur la banquise au soleil couchant ? d’autres chefs d’expéditions l’ont bien fait, avec en plus  champagne sur la glace, cette dernière option n’aurait pas pris beaucoup de temps !... fort possible, mais bien difficile à dire de mon seul point  de vue de passagère. Qu’y faire ! enfouir cette  déception dans ma poche et mon mouchoir par-dessus…

          Pour occuper le temps passé en mer, d’autant que celui-ci n’est pas des meilleurs, ce matin  c’est encore un ciel bien sombre qui nous accompagne, j’assiste à bon nombre de conférences. Mais tout aussi instructives, intéressantes et passionnantes qu’elles puissent être, elles ne remplacent pas les paysages ! Ca c’est mon petit coup de gueule.. tout ne peut pas être parfait non plus, mais bon, tout de même  !


        Anaïd, Manon et Elodie vont tour à tour parler des différents peuples inuit qui se sont succédés depuis la colonisation du Groenland il y a 4500 ans.

          Il y a plusieurs millénaires  ce peuple venu principalement de Sibérie a traversé la banquise pour aller de l’Ancien au Nouveau Monde, plus tard une autre vague migratoire viendra du Behring.La dernière ère connue est celle de Thulé (17ème) Les Inuits étaient un peuple de chasseurs nomades.

         Ils vivent alors dans des tentes à quatre personnes, regroupées en campement d’une trentaine d’individus, s’habillent de vêtements confectionnés entièrement de peaux de bêtes (phoques, oiseaux). Ils chassent les mammifères terrestres, les oiseaux, les poissons, en utilisant un kayak fait de bois et recouvert de peaux de phoques,  phoques qu’ils attrapent avec un harpon.

         Plus tard  ils construisent le si typique igloo,  inventent la lampe à huile pout s’éclairer, perfectionnent l’usage et la construction des traineaux, inventent le harnais pour chiens. C’est également à cette période que les chasseurs recherchent activement la météorite tombée au Groenland il y a 10 000 ans, espérant y trouver du fer, métal servant à fabriquer les outils, mais ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle que des fragments seront redécouverts.

          Ce peuple vivait ainsi, tranquille et peu connu, jusqu’à ce qu’en 1650 des Européens avec un navire entré en baie d’Hudson entre en contact avec eux. Ce qui amènera une forme de prostitution, l’Inuit considérant qu’offrir sa femme ou sa fille à l’hôte de passage était un rituel de bonne hospitalité. Au 19ème siècle, avec l’introduction des armes à feu qui bouleversent les pratiques de chasse, c’est un grand chambardement dans leur vie. Ensuite ce sont les missionnaires qui tentent de les convertir au catholicisme ou au protestantisme, tout en cherchant à les sédentariser.

          De nos jours, si la plupart des Inuits sont devenus sédentaires, une grande partie vit encore de la chasse et de la pêche. Modernes, ils n’utilisent plus le kayak, ni le harpon, ont pour se déplacer des motoneiges, possèdent une télé, la radio, boivent de l’alcool…. Leur faciès provient de l’époque microlithique. Les habitants veulent être appelés  les « Groenlandais »  le terme « eskimos » voulant dire « mangeur de viande crue » est considéré comme terme péjoratif par ce peuple inuit.

         L’après-midi va être courte, tout juste le temps de faire une sieste, car le dîner est annoncé pour 17 heures !....en cause un débarquement au soleil couchant. L’Ortelius après avoir longé  l’île Sabine, aux massifs poudrés resplendissants sous le soleil, contourne à présent  l’île Clavering, île située dans la baie Gael Hambke à 74° de latitude.

          Le nom de cette île est celui du commandant Charles Douglas Clavering qui en 1827 explora la région, il y rencontra 12 inuits, probablement les derniers de l’époque thuléenne. Clavering, dans son journal, décrit leurs tentes en peau de phoque, leurs canots et leurs vêtements, leurs harpons et leurs lances à pointe d’os. Il parle aussi de leur apparence physique (face cuivrée, cheveux noirs et visages ronds, mains et pieds charnus) et raconte leur habileté à dépouiller un phoque, leur étonnement devant une démonstration d’armes à feu.

         C’est au sud de cette île, sur un site dénommé Eskimonaes que je mets pied à terre. (point N° 11 carte itinéraire)



               Une station de radio scientifique y fut installée lors de l’expédition dirigée par Lauge Koch, géologue danois, en 1920. Cette station a ensuite servi de quartier général pendant la seconde guerre mondiale, sous le nom de « Patrouille Sirius »

        Cette patrouille constituée de danois accompagnés de conducteurs de chiens groenlandais, a été crée durant l’été 1941, pour repérer et anéantir toute activité allemande, car à cette époque les Allemands cherchent à établir des bases météorologiques secrètes sur cette côte pour obtenir des informations météo nécessaires et stratégiques à l’assistance des U-Boot.

         La station fut incendiée par les Allemands en 1943, puis subit un bombardement américain la même année.

          Louise, la spécialiste en botanique m’accompagne lors de cette marche à travers la toundra, aussi avec elle je découvre ces minuscules fleurs, dont celle-ci est parsemée:  le saule arctique, le pavot arctique, le raisin d’ours, la driade à huit pétales, l’armérie maritime, le mertensiale maritime….

    

         Cette petite balade au soleil couchant a quelque chose d’irréel, les rayons de l’astre  balayent d’un ton orangé tout ce qui m’entourent : montagnes, toundra, ciel, superbe !

       

   

    La journée finie, je me prépare pour la nuit, je suis même presque endormie,  jusque là classique, me direz vous ! sauf que : hé oui, sauf que : miracle… une annonce de Jonathan à 22h20 nous invite à sortir sur les ponts, par ce froid, grrrr… mais ce qu’il annonce me fait bondir hors de mon lit : une aurore boréale !!!... la chance m’accompagne !...car pour voir une aurore boréale il faut déjà bénéficier d'un ciel découvert, ce qui n'est pas souvent le cas sous ces latitudes. Cinq minutes plus tard nous sommes pratiquement tous sur le pont supérieur à admirer celle-ci, transis mais tellement heureux.

    L’aurore boréale est un phénomène lumineux caractérisé par des voiles colorés dans le ciel nocturne, le vert étant prédominant. Elle se produit dans une zone allant du 65° au 75° de latitude, suite à une journée de temps clair. Un peu compliqué d’expliquer ce phénomène, en quelques mots c’est un orage magnétique, un afflux de particules, un champ magnétique, des nuages ionisés réfléchissant les ondes radio……..….

          Je n’en crois pas mes prunelles, à tribord, sous mes yeux un invisible peintre trace d’un rapide coup de pinceau ces traits palots, les effacent puis les retracent tout à coté, à moins que ça ne soit les fumées laissées par une grosse soucoupe volante qui zigzague  dans ce ciel si sombre. Impressionnant !

         Toujours est-il que cette journée ensoleillée se termine de la plus belle façon qui soit. Comment capturer cette image ? bien difficile, je ne m’attendais pas à  voir une aurore si vite, aussi n’ai-je pas encore étudié sur mon appareil photo la procédure, mais que cela ne tienne, Jean le photographe nous a fait parvenir quelques superbes clichés.

         Vous aimez les légendes ? alors je vais vous en raconter une courte !  Les Inuits pensent que les aurores sont dues aux âmes des morts qui jouent à la balle avec des crânes de morts.

         Repue de ce spectacle, je retourne dans mon lit, m’enfouis sous les draps et me rendors lorsque à près de minuit, RE ANNONCE ! Jonathan en annonce une deuxième !!... Ca sera peut-être la dernière, aussi je n’hésite pas une seconde, je me rhabille et je remonte sur le pont.  Je ne regrette pas mon effort, celle-ci à bâbord cette fois est à mon avis, plus intense, avec plus de traits, les volutes vertes dans le ciel représentent vaguement un M.

          Frigorifiée mais heureuse, assise sur un banc du pont j’admire  tout mon saoul ce spectacle unique, au-dessus de ma tête cette lueur verte et devant moi, flottant au-dessus de l’horizon, un amas de nuages transpercés par une lueur rougeâtre. Mon imagination galope, car j’y voie là le soleil couché qui, sortant la tête  de dessous les draps fait un petit  coucou à l’aurore.

  

         C’est la tête remplie d’images de banquise, de coucher de soleil  étincelant et d’aurore boréale que je vais enfin cette fois me blottir pour de bon dans les bras de Morphée.

    L’Ortelius lui, continue sa route vers le sud, en direction de Myggbukta (l’île aux Moustiques) pour je l’espère, une autre belle journée ensoleillée.

      "      Myggbukta