Myggbuta

            Vendredi 14 Septembre.Quels beaux moments j’ai eu la chance de vivre hier soir ! ce matin j’en ai encore les images plein la tête, ce spectacle de traits lumineux verts virevoltant dans le ciel restera gravé à jamais dans ma mémoire.

   Aux premières heures de l’aube, j’aperçois cet interminable filet jaune, prémices d’une belle journée ensoleillée, mais je constate également que le pont avant de l’Ortelius est recouvert de neige, et lorsque nous débarquons à 9h30, c’est  non pas le soleil qui nous accompagne, mais bien la neige !  de petits flocons épars sans grands impacts sur la randonnée.


    C’est  Myggbukta, signifiant l’île aux moustiques, car ceux-ci sont très présents durant l’été que Johathan a prévu nous faire découvrir.  (point N° 12 carte itinéraire)







    Juste avant de débarquer, au bout de leurs jumelles, les guides ont repéré un troupeau de 8 bœufs musqués, hola ! préparez vos appareils photos. Mais ici on n’est pas dans un zoo, il n’y a pas de barrière, et dur retour à la réalité ! ces bœufs sentant notre présence, pourtant la plus discrète possible, ont pris leurs jambes, euh non leurs pattes… à leurs cous, là encore exit les bœufs !  Fabrice d’ailleurs dans sa conférence, cet après-midi, nous confiera qu’il est quasiment impossible d’en voir un de près, ceux-ci se sauvant dès qu’ils sentent l’intrus, surtout en terrain plat.

  Alors que nous nous dirigeons en direction de la plage de Mybbgukta, un vol d’eiders passe au-dessus de nos têtes. Le temps est bien gris avec une  brume qui recouvre le paysage, l’Ortelius, noyé dans cette chape de brouillard en est presque devenu invisible.

        C’est ici qu’en 1922 fut installée une station météorologique. Le 14 Octobre, un rapport fut envoyé, marquant ainsi la première connexion sans fil entre le Groenland, ce pays si isolé, et le reste du monde. Elle fut un temps utilisée par des trappeurs qui faisaient le commerce des peaux de renards.

        Désertée pendant de longues années, elle a reçue parfois la visite de scientifiques venus y faire des recherches en écologique arctique, tel que, par exemple Jean-Baptiste Charcot qui y vint en 1932 dans le cadre de l’année polaire internationale, ou encore plus récemment Christian Kempff, patron de Grands Espaces, mon croisiériste, qui en 1988 y a effectué un hivernage.

         Aujourd’hui la cabane en bois peint en noir située près de la plage, cette cabane en bon état que je visite aujourd’hui, sert de temps en temps à l’actuelle patrouille Sirius. Tout y est prêt pour accueillir les patrouilleurs, mais également tout autre visiteur inopiné, le poêle est garni de bois et les allumettes sont posées sur la table.  A l’extérieur sur une planche sont exposés un crane de bœuf musqué, des ossements, un peu plus loin une meule, une niche.

 


     

            La Patrouille Sirius est une unité d’élite de la marine danoise qui mène des patrouilles de reconnaissance sur les immensités arctiques de l’Est et du Nord du Groenland, en traineaux. Ces patrouilles sont généralement composées de deux hommes accompagnés de chiens, qui s’isolent ainsi de tout contact extérieur, pendant quatre mois, situation demandant une bonne forme physique et un bon mental. Le prince Frederik de Danemark a fait partie de cette patrouille.

          Cette promenade dans la toundra hormis la visite de la cabane, et   ce charmant petit pont en planches, pont qui ne demandait qu’à s’effondrer sur notre passage ! se révèle être sans grand intérêt, le paysage y est quelconque, la balade consistant à redescendre la butte que péniblement je venais de grimper !

         Mais histoire sans doute de rompre cette monotonie, nos guides veulent voir de l’autre coté de la rivière, voir quoi ? sincèrement je n’en sais rien ! toujours est-il que Michel, Louise et Nicolas cherchent l’endroit où la rivière sera la plus franchissable, et c’est l’eau jusqu’aux genoux, entraînés par un petit courant, qu’aidés de ceux-ci nous la traversons.


          Quelques fleurs que je n’avais jusque là pas encore aperçues, telles que la cassiope, ou encore l’airelle des marais agrémentent un peu cette balade.


    

         Nicolas, en attendant le zodiac, trempe sa montre dans l’eau, non non rassurez vous il n’est pas fou ! il désire seulement prendre la température de celle-ci, 5°. Sur le rivage il a laissé son sac à dos et son indispensable fusil, et si un ours ou un bœuf surgissait et nous attaquaient, wwwooouuuaahhh !

     

          Retour au bateau, scan du badge et  déjeuner. L’Ortelius avec tous ses passagers à bord, du moins espérons le ! prend maintenant la route du Scoresby Sund un des fjords les plus prestigieux.

        A 15 heures récapitulatif. Fabrice explique la formation des aurores boréales

            Spectacle qui représente le fruit de la collision des atomes et des ions de l’ionosphère avec d’autres particules de la magnétosphère. Il peut durer plusieurs dizaines de minutes. (ça c ‘est le Petit Futé qui le dit ! )

        Au vu de ce que Fabrice raconte, je prends conscience de la chance que j’ai eue, car celles-ci ne sont visibles que loin des villes où il y a une pollution lumineuse, pourtant les projecteurs de l’Ortelius transperçaient l’obscurité !  de plus il faut que le ciel soit découvert et bien noir, et on le sait très bien que dans ces latitudes, le ciel est beaucoup plus souvent rempli de nuages que découvert !

          Puis Jean donne quelques conseils pour bien les photographier, j’admets que ce qu’il dit me paraît un peu technique ! je retiens : mettre l’appareil en manuel, ouvrir le diaphragme le plus grand possible, couper l’autofocus et monter en iso. Maintenant que j’ai à peu près compris, ne reste plus à espérer qu’une autre aurore boréale fasse son apparition et qu’à ce moment là je me souvienne des différents réglages, là il y a rien de moins sûr ! Les possibilités s’amenuisent car il ne reste plus que 4 nuits de navigation, mais qui sait !

          Après le programme de la journée à venir relaté comme à son habitude par Jonathan, c’est au tour de Fabrice de tout nous dire sur le bœuf musqué.

           Malgré son aspect de bovin, le bœuf musqué est un caprin, ne pas le confondre avec le bison par exemple,  qui vit dans les régions arctiques. Cet animal est de taille moyenne: 1,40m au garrot pour un poids d’environ 300 kilos. De carrure massive, il est protégé par une longue toison, bourre en couche interne et  jards en couche externe, ces jards longs de 60 cms touchent presque le sol. Les cornes en forme de crochet sont jointives à la base pour les mâles, avec une touffe de pelage blanc les séparant pour les femelles d’où la facilité pour les distinguer, il possède des sabots tranchants qui lui permettent de s’accrocher à la roche, à flanc de falaise, ou parfois sur la glace de la banquise où il se serait fait piéger. Il nage mais sur une courte distance.

          Animal sociable et sédentaire, il vit en groupe de 10 à 20 et pour se prémunir du froid il se colle aux autres en formant une auto-thermorégulation sociale.

         Supportant difficilement la température au dessus de 10° durant l’été, il est plutôt adapté à des – 60°, c’est pourquoi il vit aujourd’hui dans les latitudes froides de l’hémisphère Nord. Il s’est d’ailleurs éteint dans l’Ancien Monde, il y a 2000 ans environ, à la suite du réchauffement du climat.

         A la saison des amours, les mâles se combattent jusqu’à l’épuisement de l’un d’eux, leur force de frappe est alors de 950 kilos, j’imagine les dégâts que ça ferait dans notre cerveau, le leur doit être bien dur ou alors vide ! L’accouplement à lieu en août et après une gestation de huit à neuf mois, la femelle donne naissance à un unique petit, le bouvillon.

        Ruminant et herbivore, il  se nourrit des herbes qu’il trouve en grattant la neige avec ses sabots, sur la toundra : saules, bouleaux, fleurs, lichens.

         Hormis l’homme qui le chasse, il n’a qu’un seul prédateur : le loup arctique, s’il n’est pas tué par celui-ci il peut vivre une vingtaine d’années. Lorsqu’ils sont menacés, les bœufs musqués se regroupent et forment un cercle en plaçant les petits au centre, et le plus costaud attaque !....

        Vu la taille des différents protagonistes, j’ai un peu de peine à imaginer que ce soit le loup qui gagne, quoique si le bœuf, les poils remplis de glace est à terre  !...

          Les Inuits ont tenté à plusieurs reprises au cours du 20ème siècle de le domestiquer, cet animal pouvant fournir de la laine en bonne quantité, mais la bestiole s’est révélée pas assez docile. Pour y parvenir, certains Inuits n’ont pas hésité à leur couper les cornes, entraînant alors infections, abcès, voir maladies et même décès !

          La principale menace qui pèse sur cette espèce, c’est encore le réchauffement climatique. J’explique : au lieu de neiger, il pleut, son épaisse fourrure s’imbibe alors de pluie, et comme celle-ci ne sèche pas, alors lorsqu’ il gèle, ses poils trempés se transforment en glace, la pauvre bête tombe et ne peut plus se relever. Une autre menace est la chasse, quoiqu’aujourd’hui le bœuf musqué est protégé au Groenland,  il y a malgré tout depuis 1960 un quota d’accordé aux chasseurs.

          Le bœuf musqué est appelé omingmak par les Inuits, ce qui signifie « l’animal dont la fourrure est comme une barbe »

          Avant de dîner, participant au vol en hélicoptère, je suis conviée en salle de conférence pour écouter les précieux conseils donnés par Jonathan, Michel le guide de haute montagne et Fabrice sur le déroulement des opérations, sur la manière d’embarquer et de débarquer de l’appareil en toute sécurité.

          Nous sommes 55 à avoir pris l’option, ce qui fait, à 5 passagers, 11 rotations de 30 minutes chacune. L’organisation est réglée comme du papier à musique : montée : 7 minutes, descente : 12 minutes, temps sur la calotte glaciaire : 22 minutes, pour l’embarquement et le débarquement : 3 fois 2 minutes.

          L’hélicoptère ne faisant que des A/R et ne s’arrêtant pas entre chaque rotation, Jonathan insiste sur l’obéissance et la responsabilité de chacun.  Ne jamais s’approcher de la queue de l’appareil,  et se courber pour entrer ou sortir de l’appareil. Des diapositives et photographies illustrent leurs propros.

          A la réception, sur le panneau d’affichage, je prends connaissance des 4 passagers qui vont m’accompagner et du n° de rotation qui m’est attribuée. Maintenant à nous de nous arranger pour savoir qui sera devant avec le pilote et qui sera au milieu derrière. (1 devant et 4 derrière)  Elizabeth préconise que ça soit une personne qui voyage seule qui soit devant, les couples pouvant s’interchanger à l’arrière.

         Selon l’horaire communiqué sur le tableau, nous devrons nous présenter à un endroit précis, et ça sera Elizabeth qui nous fera nous mettre en rang d’oignon, le dernier allant à coté du pilote. C’est une sacrée organisation, car pendant ce temps tous les autres, ceux qui n’ont pas pris l’option, mais aussi ceux qui ont fait leur tour ou ceux qui le feront, mais beaucoup plus tard, vont être pris en charge, pour un débarquement dans les parages.

         Jonathan précise toutefois  que cette sortie en hélicoptère se fera en fonction de la météo, mais qu’au moment où il nous parle celle-ci est favorable.  Il descendra à terre lorsque le bateau passera à Ittqqortoomiit, et avec Michel ils prendront contact avec le pilote de l’hélico, puis baliseront l’endroit où nous pourrons débarquer.

          J’avoue qu’après avoir pris connaissance de toutes ces informations, moi qui a déjà pourtant utilisé plusieurs fois l’hélicoptère, ça m’a un peu refroidi (sans jeu de mot !) Quoiqu’il en soit, ça devrait être super ! pensez donc, un débarquement sur la calotte glaciaire !

         La journée se termine avec un film présenté en salle de conférence « la Tente rouge  » sorti en 1969, film soviéto-italien qui raconte l’histoire de la mission de sauvetage de l’explorateur polaire Umberto Nobile et de son équipage, après le crash de leur dirigeable, l’Italia en 1928, lorsqu’il voulut survoler le pole Nord. Les deux principaux interprètes ne sont pas moins que Sean Connery et Claudia Cardinale.

          Pendant ce temps, l’Ortelius  se balançant au rythme de la houle continue sa route en direction du Scoresby Sund.

        Scoresby Bund