Bjorne Oer (l'archipel aux ours)

Scoresby Sund – Première journée.

             * Vendredi 15 Septembre 2018. Depuis  le débarquement à Myggukta hier en fin de matinée, l’Ortelius a depuis navigué en direction du sud, délaissant le Kejser Franz Joseph Fjord  ! Je soupçonne un problème avec les vols en hélicoptère, car Jonathan vient d’être vu à la passerelle, hors Ittoqqortoomit étant passé, il n’est donc pas parti en reconnaissance. J’apprends alors que l’Ortelius a longé le cap Tobin et entame à présent sa navigation dans le Scoresby Sund, et vous vous souvenez !  Jonathan devait débarquer dans cette petite ville et rejoindre le pilote qui assurait les vols.

         Lorsque celui-ci annonce une réunion extraordinaire à 9 heures, mes derniers doutes s’envolent. Eh oui ! il y fait un communiqué, pas spécialement agréable à entendre : alors qu’hier soir tout était impeccable, voilà qu’à peine 12 heures plus tard, en raison d’une visibilité très mauvaise (à peine 30 pieds) et d’un brouillard proche du sol pour la journée du lendemain, le pilote de la compagnie Air Greenland a pris la décision d’annuler tous les vols. Pour tous ceux qui avaient rêvé de fouler la glace, c’est bien évidemment une grande déception. Vous dire que  je ne le suis pas énormément….. déçue  serait un euphémisme !  je n’ai même pas eu le temps de m’arranger avec les quatre autres passagers avec lesquels je devais voler !

          Mon numéro de rotation était le 8. Encore une chance que l’annulation ait lieu la veille, et non pas au pied de l’hélicoptère au moment de prendre son tour… car voir les précédents revenir les étoiles pleins les yeux, et ne pas partir,  là ça aurait été frustrant, très frustrant même. Au moins dans ces conditions, il n’y a pas de jaloux ! c’est idem pour tout le monde.

          Mais voyons le positif de ce contretemps ! vu que l’Ortelius n’est plus prisonnier d’un emplacement, Jonathan nous annonce que là haut au Nord-Ouest du Scoresby Bund, à proximité de l’archipel de BjØrne Øer, il y a un beau soleil  et pas de glaces. Alors vogue le navire, l’Ortelius a alors pris cette direction. Destination que nous n’atteindrons qu’en début d’après-midi.


          Dans la matinée, Jean fait une conférence sur les différentes espèces de chiens de traineaux : le husky sibérien, le samoyède, l’esquimau du Groenland ou encore le malamute d’Alaska, ces deux dernières espèces étant les plus mastocs.

          En général ils sont 9 par traineaux, harnachés selon une hiérarchie bien précise et peuvent tirer une fois et demi leurs poids. Ils mangent environ 1 kilo de viande par jour. Ne sont-ils pas adorables  ces toutous, avec leurs épaisses fourrures imperméables, leurs  petites oreilles, et la queue en l’air ! 

           Jean raconte aussi que :

·    Le Malamute a beaucoup été utilisé  pour le transport des chercheurs d’or et de leur matériel lors de la ruée vers l’or en 1896.

·        Le Husky sibérien, s’il est une aide majeure pour tirer sur un traineau, par contre n’obéit pas et fugue. Il  était utilisé par les Inuits, ceux-ci pêchant le flétan étaient protégés par l’odeur du chien. Ce sont également des huskys qui, au cours des années 1920, lors de la guerre civile russe, ont aidé, grâce à la rapidité des traineaux, les forces cosaques à battent les russes. Plus tard les communistes emprisonneront même les éleveurs de huskys.

            Détails moins réjouissants  les Inuits contraints à effectuer de longs voyages en traîneaux choisissaient le chien en fonction de son aptitude, celui qui ne démontrait pas son envie de tirer était éliminé. L’époque, le climat et le manque de nourriture ne permettaient pas de garder des bouches inutiles, les femelles, à part les bonnes reproductrices, étaient supprimées dès la naissance.


        Puis Jean nous transporte au cœur d’un foyer inuit, en nous lisant un extrait du livre de Jean Malaurie « Les derniers rois de Thulé »

        Cet homme, géographe et anthropologue, a vécu en 1951 pendant 14 mois en solitaire dans un hameau de 300 habitants, proche de Thulé, partageant leur intimité, chassant l’ours et le phoque, jusqu’à ce que les Américains créent une grande base nucléaire en pleine guerre de Corée. En 1968, un avion, porteurs de quatre bombes s’écrase, celles-ci se pulvérisent sur la banquise.

          Ce livre suivi d’un documentaire ont été réalisés pour montrer la vie quotidienne de ce petit peuple légendaire menacé de disparition au moment ou leur société archaïque était soumise au choc de la modernité. De quoi soulever quelques questions !

          Puis le film « Nanook l’Esquimau » est rediffusé pour ceux qui l’autre soir, cause de coucher de soleil, n’ont pas réussi à le visualiser dans son intégralité.


          A cet instant, le bateau navigue en remontant à l’intérieur du Scorestby Bund.

         Le Scorestby Bund est un immense fjord de la côte Est du Groenland, le plus grand fjord du monde avec 1000 kms de côtes, situé entre les 70 et 72° latitudes Nord. D’une longueur de 350 kms d’Est en Ouest, il recouvre une superficie de 13700 km² avec un grand nombre d’îles et d’innombrables fjords latéraux. Son nom fait référence à l’explorateur polaire et scientifique anglais mais également chasseur de baleines : William Scoresby qui, fasciné par la beauté des fjords, les hauts murs et les falaises en basalte, l’a cartographiée pour la première fois en 1822. La profondeur de l’eau peut aller jusqu’à 1500 mètres. Des gens de la culture thuléenne y ont vécu jusqu’en 1800.

         La faune (bœufs musqués, renards arctiques, lemmings, phoques, narvals, oiseaux de mer) y est exceptionnellement riche, grâce aux eaux libres dans l’embouchure qui ne gèlent pas l’hiver, aux terres fertiles et à un faible vent, faune qui chassée constitue une importante réserve de proies potentielles.

          C’est certain que la remontée dans ce fjord est splendide, paysage idyllique qui panse un petit peu la plaie occasionnée par la contrariété de ce matin, la déception de ne pas pouvoir survoler et marcher sur la calotte glaciaire. Et puis le voilà ! j’en ai plein les mirettes, l’appareil photo crépite à tout va, mais voilà  qui ! voilà un  iceberg de près de 70 mètres de haut, en forme d’arche, avec à ses cotés un autre iceberg d’une forme très originale me faisant penser à un temple bouddhiste.

          Le commandant pour nous être agréable… va en faire le tour complet, à distance raisonnable il va sans dire (700 mètres)  car dois-je le rappeler, ces géants de glace peuvent avoir un comportement imprévisible qui peut soudainement virer au drame.

          Accoudée sur le pont extérieur, médusée j’observe, c’est  extraordinaire de pouvoir admirer cette splendeur sous toutes ses facettes avec l’arche qui disparaît pour réapparaître, le soleil qui était à l’instant derrière moi est maintenant en contre jour. Ces trente minutes nécessaires pour effectuer cette rotation à 360° furent un moment de pur régal, bravo et un grand merci à vous Mr Mika Appel.

 

 

  

 

         

          Le paysage devient de plus en plus grandiose, ce n’est que succession d’icebergs et il m’est très difficile de devoir quitter mon belvédère, même pour déjeuner.

          La couleur de celui-ci ci-contre, entre blanc et bleu doit signifier qu’il est entre deux âges !  maintenant je contemple les montagnes qui bordent le fjord, massifs saupoudrés de neige et barrés de longs nuages noirs parallèles, c’est majestueux, prodigieux, les mots m’en manquent ! voyez plutôt par vous-même en visionnant les diaporamas.

           Ci-dessous un petit aperçu.




     

    


           Il est conseillé de consulter fréquemment les annotations que peut faire Elizabeth sur le tableau blanc de la réception, et ce tout au long de la journée, car les infos parfois changent.

          Aujourd’hui sont punaisés les premiers commentaires rédigés par nos familles et  amis, sur le site de Grands Espaces, car contrairement à nous qui ne pouvons avoir Internet, de France nos proches peuvent  suivre nos aventures, les membres de l’expédition faisant quotidiennement un rapide compte-rendu qu’ils envoient par mail aux bureaux. C’est ainsi que j’aperçois un message de mon amie Nathalie, j’en suis très contente et te remercie.


          Sitôt déjeuner, le débarquement est prévu pour, tout d’abord, naviguer au milieu de ces icebergs aux formes sculptées par l’érosion, aux splendides couleurs bleutées. Le soleil rasant les illuminent, leurs reflets dans cette eau si pure donnent une image sans pareil ! Epoustouflant !  A l’intérieur du zodiac, Michel le laissant dériver, c’est alternativement assise puis à genoux, puis assise, puis à genoux, puis… selon la position de l’embarcation, car interdiction de se lever,  que j’admire ces cathédrales de glace.

           Pour cette exploration, nous ne sommes que quatre par coté, facilitant cette gymnastique sans risquer de donner bien involontairement des coups de coudes dans les reins de son voisin.

          Cette manœuvre : agenouillés, assis…….nous allons bien l’effectuer une dizaine de fois lors de cette balade qui à mon avis fut l’une des plus belles de la croisière, faut dire aussi que le soleil répond présent, contrairement à certains jours passés.


 

      

  

      

           Après avoir navigué dans un dédale d’îles, d’iceberg en iceberg nous approchons de l’archipel Bjørne øer, aux magnifiques couleurs, aux massifs recouverts de neige chapeautés par les nuages, quant brusquement arrivés le long d’une falaise tous les zodiacs s’arrêtent et regardent dans la même direction. Mais que regardent-ils donc, la roche !! il leur en faut bien du temps ! c’est plutôt que les meilleurs yeux y ont vu cinq bœufs musqués  en train de marcher à flanc de coteau sur un relief abrupt.

             Là je joue de malchance, Michel fièrement en tête du convoi, n’a pas fait son boulot de guide, sa radio n’est pas activée, il se contente de regarder à l’œil nu la roche,  si bien que lorsque, plusieurs minutes plus tard, le signal du départ est donné pour un débarquement à terre un peu plus loin, je ne sais toujours pas qu’il y avaient des bœufs sur cette falaise, ce qui a été également le cas pour tous les occupants de ce zodiac.

           Mais les aurais-je vus ? tant ils sont loin, ils ne sont qu’un minuscule point noir, néanmoins visibles avec les téléobjectifs, oui sans doute !.. puisque absolument tous les autres passagers les ont vus, même pris en photo. Merci à Suzanne pour ces magnifiques clichés. Mauvais, très mauvais point  pour Michel car ça sera l’unique fois où j’aurais pu en apercevoir.


          Nous accostons sur une petite crique de Bjørne øer et partons pour une découverte à pied de ce paradis. Je m’attarde à contempler ce paysage, le lieu est phénoménal, une mer bordée de tous cotés par de petits massifs de gneiss de couleur foncée, avec en toile de fond une tache immaculée, aveuglante,  un iceberg qui s’étale sur l’eau et à mes pieds une toundra aussi colorée qu’un parterre d’un de nos Jardins des Plantes.

           

       
                Cette île fait partie d’un archipel d’une dizaine d’îlots situés à l’angle Nord-Est de la terre de Milne dans la partie centrale de Scoresby Sund. Façonnée par les glaciers de l’âge glaciaire, Bjørne øer, voulant dire l’île aux Ours,  est ainsi nommée parce que la crête  pointue ressemble à des griffes d’ours. (point N° 13 carte itinéraire)

          A la suite de Marion, fidèle à mon engagement de moyenne marche, je grimpe de rocher en rocher, foule cette toundra égayée par les bouleaux nains, les myrtilles, les airelles des marais, les campanules, contourne des petits lacs. Marion nous encourage « Allez, on va essayer d’aller là-bas au sommet »  Et on y est arrivés, sur ce coup là on a fait aussi bien que la longue marche… suprême récompense à nos efforts : une vue à couper le souffle ! Devant nos yeux s’offre un horizon fait d’icebergs éclairés par une lumière exceptionnelle, sur une mer d’huile.


 

  


           Le retour au navire me comble, malgré la vitesse du zodiac, j’arrive à immortaliser ce paysage dont je ne me lasse décidément pas, les reflets dupliquant les massifs foncés, les monts enneigés, le blanc de l’iceberg, le bleu du ciel et  le gris des nuages.


          Et que dire à l’approche de l’Ortelius ! magnifique ! le bateau  et son reflet apparaissent comme auréolés d’un nuage fin, une sorte de voile, sur fond de massifs granitiques foncés.

           J’avoue, qu'à cet instant, j’aurais bien demandé de faire « pause »


 

     


         L’Ortelius a repris sa route, à présent nous pénétrons plus encore au Nord-Ouest du Scoresby Sund, en naviguant sur l’Øfjord avec les massifs de Renland au Nord et de  Milneland au sud.

          Et c’est sur ce décor magique du Rodefjord(le fjord rouge) Point 19, qu’une nouvelle fois le diner à lieu sur le pont arrière du navire. C’est bien emmitouflés avec le traditionnel barbecue fait de saucisses et de cuisses de poulets grillés, la musique à fond, que cette si belle journée prend fin.

           Demain est prévu un débarquement dans ce superbe fjord, une autre belle journée en perspective si l’on se base sur les prévisions météorologiques.

     Bonne nuit, à demain  

 

          Rodefjord