Lundi 17 Septembre 2018.
A 6h30, l’exclamation de joie de Marie-Madeleine me réveille « Regardes,
on arrive à Ittoqqortoomitt ! » Effectivement, à travers l’épais
carreau de ma cabine, j’aperçois les premières maisons aux couleurs vives de ce
village inuit, maisons aux toits pointus, bâties sur le flanc d’une petite
colline. (point n° 15 carte itinéraire)
Malgré les pessimistes pronostics d’hier soir et une
nuit où il a neigé, le débarquement pour visiter ce village est
prévu à 8h30, le ciel est gris et bien bas. Cependant, Jonathan insiste «
Soyez très prudents, lors des embarquements et débarquements, car il y a pas
mal de houle, et la plage de galets est creuse » C’est d’ailleurs avec de l’eau
à mi-cuisses, que nos guides revêtus d’une salopette étanche tirent le zodiac le
plus près possible de la grève. C’est certain que lorsqu’il va falloir, pour en
descendre, sauter dans l’eau, celle-ci passera au-dessus des bottes, d’où
l’utilité des pantalons imperméables.
A peine le pied posé à terre, j’entends les bruyants et incessants aboiements des nombreux chiens.
Je n’ai pas assez réfléchi, et n’ai pas pris mon bâton,
là je me maudis car
de tous les cotés ça monte, le chemin de terre est recouvert d’une mince
couche de neige, neige qui tassée s’est fatalement transformée en chemin
glissant.
Le plan du village en poche, j’ai deux bonnes heures
à utiliser comme je l’entends. Je passe tout d’abord par l’Office du Tourisme
où j’y achète deux tee-shirts, représentant
respectivement un ours et un bœuf musqué, ben oui tout de même ! la
sympathique employée y offre des amuse-bouche cuisinés avec du bœuf musqué !
Après être passée devant l’église qui aujourd’hui ne se visite pas car il y a risque d’effondrement, je monte, que dis-je… ! je grimpe, péniblement certes mais je grimpe jusqu’ au cimetière.
La plupart des tombes consiste en un simple monticule recouvert de gros cailloux, avec pour certaines un encadrement de bois, mais toutes ont à la tête une simple croix de bois blanc. En souvenir des disparus, des fleurs artificielles en forme de couronne on été déposées, aujourd’hui tout est recouvert de neige, donnant une allure fantomatique à ce cimetière.
De cette hauteur la
vue sur l’ensemble du village est sympathique.
Tâtonnante au milieu du chemin je laisse le passage aux quelques quads qui circulent.
A l’extérieur des peaux de phoques ou d’ours attachées avec des pinces à linge ont été mises à sécher sur une planchette de bois. A proximité des poubelles, de nombreux corbeaux noirs volent à la recherche de nourriture.
Pour épouser l’anfractuosité de la roche, les maisons sont construites sur un grand soubassement, avec pour entrée un escalier de quelques marches de bois, escalier terminé par un perron
Ittoqqortoormitt, signifiant « grande maison » en groenlandais, est une municipalité située au bord du Scoresby Sund, l’immense fjord de la côte Est du Groenland. Ce village d’environ 480 âmes est l’un des lieux habités les plus isolés du pays, il n’est joignable généralement que par hélicoptère, le bateau ne passant que quelques jours par an. Cette colonie fut fondée en 1925 par le gouvernement Danois dans une période où de nombreux trappeurs Norvégiens occupaient la côte orientale du Groenland.
Le village présente plusieurs lieux incontournables d’après Elizabeth, dont le musée sur les traditions et croyances des esquimaux, mais incontournable ou pas je ne l’ai pas fait, car pas vu. Comment ça pas fait ! mais voyons c’est que je ne sais pas lire le danois ….. une jeune fille y était présente, habillée d’un costume typique de fête, richement brodé. Photo ci-contre récupérée sur le compte-rendu.
Des cris
d’enfants m’attirent, m’évitant ainsi de louper l’école, les gamins, pas
timides, s’amusent à nous lancer des boules de neige, oh les coquins ! Je
suppose qu’ils doivent être drôlement heureux de nous voir, je parviens même à
prendre en photo cette jolie frimousse
Cette école accueille une cinquantaine
d’enfants de 10 niveaux scolaires différents, mais aujourd’hui, une épidémie de
grippe a clairsemé les rangs.
Une fillette, une pancarte au texte rédigé en anglais dans les
mains, se tient en haut des marches, les écoliers ont comme projet de partir en
Islande 15 jours pour apprendre à nager, et pour financer leur séjour, ils
proposent à la vente des petits objets confectionnés par leurs soins :
dessins, collages.
Vers 12-13 ans, ces écoliers partent étudier sur la côte Ouest et devant passer par l’Islande, ils ne peuvent revenir dans leurs familles qu’à Noël, et aux grandes vacances.
Arrivée devant l’entrée avec Jean, l’instituteur nous
fait signe d’entrer, mais qu’après avoir enlevé nos bottes, ce qui pour moi
dans ce contexte se révèle impossible, car pas de tire-bottes, ni même un
simple rebord de porte !... alors exit l’école.
A Ittoqqortoormitt
il est possible de voir le mémorial de Charcot, petit monument érigé en mémoire
du commandant et explorateur polaire français Jean Baptiste Charcot et de
l’équipage du
« Pourquoi Pas »
Charcot, connu pour être bon navigateur dans ces terres hostiles est pressenti par la Commission polaire française pour effectuer en région arctique de nombreuses observations météorologiques (mesures au sol, pression, température, vitesse et direction du vent, insolation, observation des nuages) et aussi l’exploration de l’atmosphère par ballons-pilotes et radio-sondes.
Il part en août 1931 à bord du « Pourquoi Pas » et se rend à Ittoqqortoormitt pour y installer le matériel nécessaire à l’implantation de cette station. Les rapports avec les Eskimos sont excellents, sympathiques, intelligents et serviables, dira Charcot.
Depuis le débarquement, il est possible de prendre soit
sur la gauche, à travers l’unique rue du village, c’est ce que j’ai fait, mais
aussi d’aller à droite, et de pouvoir admirer les chiens groenlandais qui se
trouvent, là haut tout là haut sur la colline, après avoir grimpé pas loin de
80 marches. Je n’ai plus qu’une vingtaine de minutes avant de retourner au
bateau, aussi très déçue je fais l’impasse sur cette visite, qui pourtant me
tenait à cœur.
Tout en bas, un chasseur, un parmi les 40 que compte Ittoqqortoormitt, s’est installé en contrebas de sa maison, le long d’une rivière, avec une douzaine de chiens dont une femelle qui allaite ses petits, à coté de lui on peut voir un antique traîneau. Ces chiens, compagnons indispensables aux hommes parcourant la banquise sur des traineaux sont superbes, dommage qu’ils soient attachés au bout d’une laisse.
Là haut, depuis la station de météorologie, a lieu à 11h03 (ainsi qu’à 23h03) un lâcher de ballon. Ce ballon fait en latex naturel bio-dégradable est gonflé sur place à l’hydrogène, à cet instant il atteint 1 m de diamètre et monte jusqu’à une altitude de 35 à 40 km en augmentant de près de 200 fois sa taille, il explosera alors. Un capteur situé au-dessous du ballon envoie en temps réel les données, telles que la direction du vent, la température et la pression atmosphérique, ces données sont recueillies dans une banque de données mondiale, afin d’établir des bulletins prévisionnels météorologiques.
Personnellement, la visite de ce village d’Ittoqqortoormitt a comme une saveur de « ne pas avoir vu !... » j’aurais sincèrement aimé mieux le découvrir, pas vu les chiens, ni le lâcher de ballon, ni le musée, mais ces montées raides et ce sol glissant ont eu raison de mes possibilités. Ca serait à refaire, je prendrais non pas à gauche vers le cimetière, mais directement à droite la montée des marches vers le rassemblement des chiens et la station, quoique des chiens ! j'en ai vu à plusieurs reprises attachés derrière la maison.
Alors que je suis
en contemplation devant cette femelle et ses chiots, j’aperçois trottinant
derrière nos guides, trois jeunes chiens qui descendent de la colline. Je crois
même que l’un d’eux a sauté dans un des zodiacs, après tout, pourquoi
pas !!!....Mais ne regrettez rien gentils toutous, avec nous vous ne seriez
pas heureux, vos immensités de glace vous manqueraient trop !.
Sitôt déjeuner, le Commandant Mika Appel nous invite au traditionnel cocktail de l’au-revoir initialement prévu à 18h30, mais Jonathan a préféré l’avancer à 15 heures, car nous dit-il « ça va secouer, et beaucoup resteront dans leurs cabines » Mr Appel présente ses officiers, ses matelots, remercie tous les membres de l’équipage, que ce soit du pont ou des machines, ces hommes qui ont mené le bateau en toute sécurité, et ce parfois dans de mauvaises conditions, glaces ou visibilité médiocre. Aussi acceptez messieurs cette tonne d’applaudissements, vous les avez bien mérités !
Jonathan revient sur les 24 heures à venir et nous
annonce que pour éviter de se trouver en plein cœur de la tempête, l’Ortelius
va devoir se dérouter, donc s'allonger un peu, puis il nous montre les prévisions de route.
Il
distribue allégrement les conseils pour cette traversée qu’il annonce comme « rock
and roll » : manger léger pour ne pas avoir l’estomac vide, se
couvrir pour ne pas avoir froid, boire, se reposer quitte à faire cinq à six siestes
dans la journée, ne pas aller sur les ponts extérieurs, lors de nos
déplacements se tenir à la rambarde, aux murs, débrancher les appareils
électriques, ceux-ci en provoquant des étincelles, pourraient être à l’origine
d’un incendie, ne rien laisser sur les placards, tout ranger à l’intérieur,
faire attention au stylo qui pourrait se balader au gré des vagues, et au
besoin demander un patch contre le mal de mer au Dr Alain.
Moi, avec toutes ces recommandations et le
pessimisme de Jonathan, je commence sérieusement à angoisser….
Puis c’est le moment de dresser un bilan de cette croisière exceptionnelle selon lui, qu'il qualifiera même d’être sa meilleure ...tiens donc !! On a vu dit-il des rennes, des morses, une baleine (ça !..) quelques oiseaux, même si dans l’ensemble ils sont partis pour des contrées plus chaudes, et 11 ours ! dont cinq coincés sur un ilot et cinq évoluant en milieu naturel, sur la banquise à la recherche de nourriture. On a admiré la banquise sous différentes formes, vu celle-ci à l’aube, en journée et au coucher de soleil. On a remonté 1000 ans d’histoire en visitant des sites de la civilisation Thulé.
Il n’oublie pas non plus de féliciter Sygi qui a dû faire préparer et tenir chauds les plats pour 100 personnes, selon un horaire parfois hypothétique, ainsi que le Commandant du navire qui, de par sa grande expérience, n’a pas hésité à aller dans des contrées où nul autre navire n’aurait osé.
Puis Elizabeth explique comment régler sa note, une facture par personne sera établie, un appel pour rejoindre la réception sera fait par pont. Pour le paiement en carte bancaire, il faudra attendre d’être plus prêt des côtes pour avoir une connexion Internet, la liaison avec le terminal des cartes bleues. Puis elle nous invite à rendre les bottes, une fois celles-ci séchées, à la « Chapelle » Voilà .....! la boucle est bouclée ……
L’Ortelius a quitté le fjord du Scoresby Sund et
entame sa traversée vers l’Islande, et ça commence déjà à chahuter. Le reste
de l’après-midi est occupé par une conférence d’Alain sur la tectonique des
plaques et la dérive des continents, le récit de
Jonathan qui raconte comment il compta les oiseaux à Ittoqqortoormitt pour le
compte du CNRS. Puis Anaïd nous parle du grand corbeau, qu’on a pu apercevoir
ce matin et des légendes qui s’y rapportent, Elizabeth donne les conseils
pratiques pour notre débarquement.
L’ambiance lors du dîner est sympa, de quoi faire
oublier le tangage du bateau. Après un petit discours, Sigy nous présente les personnes
qui nous ont servi lors des repas, c’est leur
heure de gloire, elles font leur show, faisant le tour des deux salles du restaurant
sous les applaudissements fournis. Grand merci à toute cette équipe que j’ai
toujours vu souriante, prévenante.
Ayant constaté que le tangage du bateau en me propulsant en arrière ou en avant du lit avait tendance à m’occasionner un début de vertige, je préfère anticiper et demande au Dr Alain de me fournir un patch, quoique sans rapport, mais bon ! Je me rends donc à l’infirmerie, dont fort heureusement je n’ai pas eu besoin de tout le voyage, et celui-ci me colle sous l’oreille ce patch, dont l’effet doit durer au maximum 72 heures, patch vendu au prix de 6 €. !..
Mardi 18 Septembre 2018. Ouf ! voilà
une nuit de passée, à mon réveil l’Ortelius n’est plus qu’à 104 miles nautiques
des côtes islandaises, ça tangue toujours autant mais finalement j’ai fini par
m’y habituer, à part parfois quelques bons coups de houle, qui m’arrachent un « oooohhh……. »
Dans
la matinée, Jérémy nous responsabilise devant l’étendue du désastre déjà provoqué
par le réchauffement climatique sur les espèces de l’Arctique.
C’est alors que Jean propose un concours de photos, chacun d’entre nous peut proposer une photo, celles-ci, classées selon plusieurs catégories (portraits, paysages, animaux) seront cette après-midi soumises aux votes. Je n’y prends pas acte, ayant conscience de l’énorme potentiel du matériel photographique, et pourtant j’aurais dû, avec cette jolie frimousse aurais-je eu ma chance ? après tout, peut-être ! puisque c’est le cliché d’une des gamines de l’école qui a gagné cette catégorie.
L’après-midi est consacrée aux expériences personnelles de Manon, Louise, Jérémy et Nicolas qui ont chacun séjourné plusieurs mois dans les « Terres Antarctiques et Australes Françaises » Puis Michel, le guide de haute montagne, nous visionne deux films tournés lors d’expéditions dans le massif du Mont-Blanc.
Ca et là, s’échangent des mails, des photos, c’est certain que ce voyage de 14 jours en totale autarcie à permis de faire de belles rencontres, peut-être sera-t-il aussi le début de belles amitiés.
Après dîner, Jean dévoile les noms des différents gagnants du concours, chacun d’eux repartira avec un joli livre de l’Arctique, puis nous prenons connaissance avec un réel plaisir des diaporama et vidéo effectués par Jean, et Maxime et son drone. Vidéo et album que je nous pourrais télécharger seulement que..quelques jours après mon retour, et dont quelques photos ont agrémenté ce reportage. Auparavant, Jonathan nous a captivés avec la lecture d’un passage de la « Vierge Noire » l’un des « Racontars » écrits par Jørn Riel, livre racontant la vie des trappeurs du Groenland.
Je m’apprête à passer ma dernière nuit sur l’Ortelius, les placards ont été vidés, la valise est pratiquement prête. La nuit devrait être calme, l’Ortelius, avec un peu d’avance… s’est réfugié dans le fjord d’Akureiri en Islande. D’ailleurs, Alain nous fait savoir qu’on peut ôter notre patch, ouf, quel soulagement !
Demain de très bonne heure l’Ortelius accostera à Akureiri, et je poursuivrais cet extraordinaire voyage en longeant une bonne partie des côtes Nord et Ouest de l’Islande. A cet instant je ne rêve que d’une chose, pour avoir entendu quelques témoignages, explorer l'Antarctique, peut-être d’ici quelques années, hé oui j’ai été attaquée par le virus polaire…. essaierais-je avec un autre croisièriste ? c’est à voir !
Bonne nuit et à demain