Ile Charles Douze


                 Samedi 8 Septembre 2018.  Cette nuit, l’Ortelius a navigué avec des conditions de mer et de vent idéales, si bien qu’à mon réveil, l’île Charles XII est déjà en vue, territoire  sur lequel repose mon dernier espoir de voir un ours au Svalbarg. Pour atteindre cet ilot le bateau a, depuis l’île de Moffen longé les côtes sur presque toute la largeur de l’archipel (plus de 200 kms).

      Karl XII Øya, cette île pyramidale d’environ 2 kms de long est située latitude 80°6 au Nord du Nord/Austlandet (point n° 6 carte itinéraire)  C’est la deuxième ile la plus septentrionale du Svalbard. Cette île porte le nom d’un roi de Suède ayant vécu au 17ème siècle.



      Depuis le pont j’observe ce paysage, ce rocher sombre qui n’est alors qu’un petit point noir au milieu de cet océan, toujours dans l’attente de la banquise, banquise que je ne verrais pas au Spitzberg, hélas !  Jonathan le confirme, en Septembre il y a peu, on la trouvait encore aux environs des latitudes 79° Nord, mais aujourd’hui même à plus de 80°, elle a fondu, il faudrait remonter jusqu’à la latitude 83° pour espérer la trouver.

     Sachant qu’entre deux latitudes, il y a 100 kilomètres, un bateau comme l’Ortelius ne navigue qu’à 10/11 nœuds, et encore quand tout va bien, qu’il ne soit pas freiné par le mauvais temps ou par les glaces ! ce qui fait du 18/20 kms/h, alors faites le compte ! 3 latitudes = 300 kms = 15 à 18 heures de navigation, et ce rien que pour l’aller, sans la certitude que sur place la banquise soit là à nous attendre.


      Nos guides sont, depuis la passerelle, suspendus à leurs jumelles, pourvu que !!!

      Puis Jonathan annonce qu’ils ont repéré des points blancs, mais pas de fausse joie, on est encore trop loin. Puis le navire approchant, on a la confirmation, il y a bien au moins un ours sur l’ilot, l’excitation de chacun est alors à son comble.

     A 9h30, les zodiacs sont mis à l’eau. C’est alors que je le vois enfin, le seigneur de l’Arctique est bien là, à l’Ouest de l’île, se découpant au sommet, en contre-jour sur fond de ciel non pas bleu, mais bien gris !, il a l’air de nous observer, sans paraître avoir peur de nous, nous offrant un spectacle tout à fait unique, majestueux.

       Puis pressentant sans doute qu’on attend de lui autre chose qu’une simple présence, qu’on aimerait bien un show….… au bout d’une dizaine de minutes, il se met en marche se dirigeant vers le Nord de l’île.



       

      Nous suivons sa progression avec les zodiacs, quant un peu plus loin, nous apercevons deux morses, une mère et son jeune qui se prélassent sans avoir conscience du danger, sur leur rocher.

     L’ours marche dans leur direction, rocher après rocher, il se rapproche de plus en plus jusqu'à moins d'une quinzaine de mètres de ses proies qui ne bronchent toujours pas !.. Hé…ho…. gentils morses, au lieu de paresser, regardez donc un peu qui vient vers vous, d’un pas décidé ! HE..HO… ! HE..HO…!

      

Mais que va-t-il se passer ? le suspense est insoutenable, le moment est tragique, ayant  affaire à un prédateur, on est en plein cœur d’un thriller. Oh non !... nous n’allons tout de même pas assister à une mise à mort, j’en ai des sueurs froides.

      Pire encore depuis que j'ai trouvé cet article : "L'ours polaire peut chasser le morse en se précipitant dans les groupes formés sur les plages, et consomme les individus écrasés ou blessés dans la panique. Les membres d'une colonie s'unissant pour faire face à un prédateur, seuls les individus se tenant éloignés du groupe sont réellement susceptibles d'être victime d'un ours !!!...> Mais à quoi donc pensait cette maman, pour s'isoler ainsi !

Et puis  Plouf !   Ooouuuf !..... les deux morses qui ont enfin repéré l’ours ont plongé, il était tout de même moins une, photo à l’appui.

      

      Dommage pour moi ! c’est Manon une jeune stagiaire qui est en charge de conduire le zodiac où j’ai pris place, sans doute moins expérimentée elle n’ose pas s’avancer, et pourtant plusieurs de nos zodiacs sont nettement  plus près du rivage. Heureusement que les plus belles  photos ont été partagées. (Merci à Suzanne et à Jean le photographe pour ces superbes clichés)  

     Plus haut dans la toundra, nous repérons deux autres ours qui fouillent dans la végétation, probablement à la recherche d’une quelconque nourriture, puis un autre allongé un peu plus loin. C’est purement incroyable, nous avons alors à des distances différentes, il est vrai !.... quatre ours dans notre champ de vision. Je pense à cet instant à Jonathan qui ne doit pas être peu fier d’avoir pris la décision de changer de route pour aller à Karl Xll !...

      Et pourquoi avait il l’air si sûr de lui, pourquoi a-il pris le risque de nous faire faire tant de navigation pour arriver à proximité de cet ilot ? d’une part, par expérience et aussi parce que Karl Xll l’ilot bien au Nord de l’archipel est le dernier a être délivré des glaces, et que forcément il y restent toujours quelques ours, qui pour x.. ou y.. raisons, n’ont pas réussi à temps à suivre et dériver avec la banquise pour rejoindre les contrées où ils auraient plus facilement trouvé à manger.

      Nos guides émettent quelques réserves quant à leurs survies, le petit îlot Karl Xll n’offrant pas beaucoup de nourriture.

     Courage, gentils nounours…… l’hiver arrive dans peu de temps et avec lui, le retour de votre si chère banquise.

      Au sommet de l’île, une grande colonie de mouettes tridactyles se fait entendre, il est même possible d’apercevoir les oiseaux posés sur leur nid.

     Nous continuons à longer l’île vers l’est et ne tardons pas à voir un rocher avec une vingtaine de morses qui s’y reposent.  Nos guides debout dans les zodiacs discernent mieux que nous et nous interpellent à chaque fois qu’ils en voient dans l’eau.

     Regardez  à droite, regardez à gauche, maintenant c’est en face qu’ils sont !.... »  

      Je scrute la surface de l’océan, quand j’aperçois  tout un groupe, curieux ils sortent la tête de l’eau en exhibant leurs très longues défenses, c’est un véritable ballet qui s’opère autour de nous, un spectacle que je n’oublierais pas de sitôt.

      Cette sortie a comblé mes vœux, même si j'aurais aimé approcher les ours de plus prés, c’était purement féérique. Mais hélas ! tout a une fin, même les meilleures choses....et il est temps de retourner à bord.

      De parole de guides, ces derniers nous affirment, de toutes leurs expéditions, n’avoir jamais assisté de si près à cette scène d’un prédateur si près d’attaquer sa proie, scène riche en émotions pour tous les protagonistes, ainsi que pour nous, témoins impuissants.

     

     Cette fois, nous faisons vraiment nos adieux au Svalbard, car l’Ortelius va maintenant prendre la direction du Groenland, plein Ouest, une traversée de deux jours et deux nuits pour atteindre cette île, la plus grande au monde.

            Traversée Spitzberg - Groenland