Traversée Spitzberg  - Groenland

             Samedi 8 Septembre (suite et fin)

          L’Ortelius a mis cap à l’Ouest en direction de la côte Est du Groenland, nécessitant deux jours et deux nuits de mer, (point N° 7 carte itinéraire) mais aucun risque de s’ennuyer, l’équipe veut profiter de ces journées sans sortie pour nous parler de ce qui les passionnent. C’est ainsi qu’après déjeuner Manon présente les oiseaux de l’arctique que nous avons eu la chance de voir. Ceux-ci pour la plupart se nourrissent de poissons, de crustacés et de divers invertébrés. Ils vivent en général une vingtaine d’années.

     Récapitulatif des principaux : 

     ·       Le mergule nain (env 20 cms) tête, nuque, dos et ailes noirs, poitrine  blanche, court bec trapu. Il niche dans des crevasses ou sous de grandes pierres et cherche sa nourriture en nageant sous l’eau. Souvent victimes des pollutions maritimes dues aux avaries pétrolières.

     ·       Le guillemot à miroir (env 35 cms) bec effilé noir, pattes rouges. Il se nourrit également de vers marins.

     ·       Le guillemot de brunnich (env 44 cms) tête, nuque et arrière noirs, bec pointu, espèce particulièrement exposée au risque d’ingestion de micro plastique.

     ·        La sterne arctique (env 35 cms). Plumage  gris, nuque et  joues blanches, long bec, courtes pattes et doigts palmés rouge foncé. La sterne se nourrit aussi de mollusques, de vers marins, de baies et d’insectes. Lorsqu’elle cherche sa nourriture, elle plonge en piqué sur sa proie d’une hauteur de 10 à 15 mètres, en s’immergeant entièrement.  Espèce agressive, défendant avec acharnement son nid et ses oisillons. La sterne attaque les humains et même les grands prédateurs en donnant des coups sur le dessus de la tête.

      C’est l’oiseau qui réalise la plus longue migration au monde, elle fait l’aller-retour de son aire de reproduction jusque dans les contrées chaudes chaque année, chaque trajet dure 4 mois.  La sterne a été chassée de façon intensive jusqu’au début du 20ème siècle, ses plumes étant recherchées pour fournir l’industrie de la chapellerie en plumes de sterne.

    ·     Le goéland bourgmestre est un grand et puissant goéland au plumage clair. Il se nourrit également d’insectes, d’étoiles de mer, de charognes, d’œufs, de petits mammifères, de petits oiseaux, de graines et de baies.

     ·       La bernache nonnette (env 70 cms) corps gris, dessus de la tête, cou et poitrine noirs. Elle tire son nom du plumage noir qui lui enserre la tête comme un voile de religieuse. Son alimentation est principalement constituée d’herbes poussant près des côtes.

          ·       Le fulmar Boréal (env 60 cms) Dos et  épaules gris, tête, gorge et ventre blanc, bec crochu, avec une extrémité jaune. Quant il est dérangé, le fulmar régurgite une substance jaune, huileuse, nauséabonde, qu’il projette à près d’un mètre, dissuadant les intrus. Il lui arrive souvent de suivre les bateaux de pêche pour profiter des déchets de poissons rejetés en mer. Cet oiseau est victime de l’ingestion de plastique qu’il confond avec la méduse, une de sa proie habituelle, ainsi que de la pollution aux hydrocarbures.

     ·       Le bruand des neiges (18 cms) blanc avec le dos noir,  bec conique épais et court, il se nourrit d’insectes, larves, petits invertébrés et graines.

     ·    Le bécasseau violet (environ 22 cms)de couleur sombre sur le dessus, clair dessous, bec long et fin, à la base orangée. Les pattes ocre-brun sont courtes. Cet oiseau retourne plantes aquatiques et algues déposées sur les rives vaseuses ou explore les trous de terriers dans la vase, à la recherche de petits mollusques et crustacés.

          Après cette intéressante conférence où Manon nous demande de reconnaître sur photographies quelques oiseaux, c’est maintenant au tour de Jonathan de nous parler du Svalbard que nous nous apprêtons à quitter, son histoire, sa géologie et la vie sur cette île au bout du monde située à seulement 1300 kms du Pôle Nord.

          Le Svalbarg situé au-delà du cercle polaire arctique est un archipel de l’Océan Arctique qui s’étend entre 74° et 81° de latitude nord. Environ 60 % sont recouverts de glaciers, la plus grande partie du territoire classée réserve naturelle ou parc national permet la reproduction en toute quiétude des oiseaux et de quelques mammifères (renard polaire, renne, phoques, ours et…. souris)



         Le territoire devrait être pris en permanence par les glaces si le Gulf Stream n’y passait pas. Les parties qui ne sont ni montagneuses, ni recouvertes de glace sont de la toundra, végétation composée de lichens, de mousses, de fleurs et d’arbres rampants (bouleaux, saules nains)

          Les îles auraient été d’abord découvertes par les explorateurs vikings au  siècle. Le sous-sol du Spitzberg contient du charbon, exploité dès 1920 par les Hollandais, mines  revendues aux Russes.

         La population y est de 2400 habitants, moins que d’ours..… Le seul déplacement possible est le bateau, l’avion, l’hélicoptère ou la motoneige. Territoire autonome et  démilitarisé, ne faisant pas partie de l’espace Schengen, chacun peut y exploiter librement les ressources locales.

     Aujourd’hui le Spitzberg vit des revenus de sa seule mine, de la pêche, de l’essor du tourisme (journées de traîneaux à chien, promenades en scooter des neiges, randonnées en kayacs…..) des expéditions scientifiques.

        18h30, que le temps passe vite ! Mr Mika Apple, commandant du navire a laissé quelques minutes son gouvernail pour passer un petit moment avec nous et faire plus ample connaissance Il nous offre l’apéritif, Anaïd passe parmi nous avec ses petits fours. Quoiqu’il affirme «  ne pas savoir, ni aimer  parler » Mika nous dit quelques mots en anglais. L’instant est agréable, puisque jusqu’à présent, n’ayant pas accès à la passerelle, poser un visage sur la personne qui mène le bateau a de quoi rassurer.

               

          Au dîner, suite à une conversation avec Elizabeth où je laisse échapper quelques informations quant à mon âge,  Monique qui est ce soir en face de moi, me demande avec son charmant accent suisse « De quel jour d’Août es-tu ? » Instantanément je lui réponds « Du 3 » « Mais, tu es née le même jour que moi !!!!!  » Et voilà ! j’ai rencontré ma jumelle, vrai de vrai !……situation statistiquement quasiment improbable…… j’espère de tout cœur que nous garderons un bon contact.

           Cette journée, riche en émotions, se termine par la projection d’un documentaire en salle de conférence. Le film « La Glace et le Ciel » est tiré de la biographique de Claude Lorius, glaciologue, film qui a été projeté en clôture du Festival de Cannes 2015. Incroyable aventure humaine et scientifique dans les glaces de l’Antarctique, où l’on y découvre le difficile quotidien des chercheurs, avec une température qui pouvait descendre jusqu’à -80°C, les voyages périlleux à travers les crevasses des glaciers mais aussi des paysages à couper le souffle.

           Les notes scientifiques présentées dans ce film permettent une meilleure compréhension de l’évolution des climats.

              Claude Lorius  est né en 1932 à Besançon. A 22 ans, accompagné de deux compagnons, il réalise son premier hivernage en Terre Adélie à la base Charcot suite à une petite annonce placardée sur le mur de  l’Université, on recherche des jeunes gens en bonne santé et ne craignant pas la solitude… Il ne se doute pas alors qu’il va participer à la plus grande aventure scientifique jamais entreprise sur le continent antarctique.

              En 1965, il observe les bulles de gaz que la glaçon libère dans son verre de whisky et réalise que chaque bulle d’air enserrée par les glaces des pôles est un échantillon de l’atmosphère de l’époque ou elle fut emprisonnée. La calotte de glace Antarctique fait plus de 2 kms d’épaisseur.

         Comme elle résulte de couches de neige successives, une carotte de glace de plusieurs centaines de mètres, obtenue lors d’un forage, contient un enregistrement indirect, sur des dizaines de milliers d’années, de la température. La variation sert alors d’indicateur, il a ainsi montré le lien direct entre les taux de gaz à effet de serre et l’évolution climatique sur des périodes allant de 150 000 à 800 000 ans.

              Il a fait toute sa carrière au CNRS comme directeur du laboratoire de glaciologie et géophysique de Grenoble. Entre 1960 et 1980, il a pris part à plus de vingt expéditions polaires, principalement en Antarctique dans le cadre des missions polaires françaises et internationales. Promu au titre de Commandeur de la Légion d’honneur et au rang de Grand Officier de l’Ordre National du Mérite. Agé aujourd’hui de 82 ans, il est directeur émérite au CNRS.

           Puis c’est retour au lit, j’avoue que j’appréhende un peu cette longue traversée qui s’avèrera tout de même un peu houleuse. Peu de temps après m’être enfouie sous la couette, Jonathan fait une alerte pour un dauphin aperçu, mais sincèrement le temps de me rhabiller et d’aller sur le pont, il se sera certainement plus là à m’attendre, exit joli dauphin.

          Durant la nuit, nous changeons de fuseau d’horaire, allant vers l’Ouest de la planète, nous reculons nos montres d’une heure.

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     *   Dimanche 9 Septembre.

        Dès 9h !... quand je vous disais que nous n’allions pas nous ennuyer !  Puisque nous avons vu des ours hier, Fabrice en a fait la première conférence de la journée. Racontée avec une pointe d’humour, une des caractéristiques de ce sympathique guide, tout savoir sur ce super-prédateur est littéralement captivant.

        Pourquoi super-prédateur ? car il est tout en haut de la chaîne alimentaire, il n’a aucun prédateur, à part…. l’homme ! Très bon nageur, sa graisse et sa fourrure lui permettent de flotter. Il vit surtout en bordure de la banquise et sur les glaces dérivantes, si l’on en rencontre à terre, comme ce fut le cas sur l’ilot Karl XII ce sont surtout des ours isolés qui se sont fait surprendre par une débâcle précoce. D’une espérance de vie de 25 ans, c’est le plus grand carnivore terrestre, régnant en maître sur son territoire mais qui se nourrit aussi de mousses, d’algues, d’œufs ou de détritus.

      Son régime alimentaire est essentiellement le bébé phoque annelé qu’il guette à la sortie de son trou de respiration, et que d’un coup de patte il tue. Pauvre petit phoque qui n’a alors aucune chance de survie. La survie de l’ours dépend directement du  cycle des espèces chassées, les phoques  se nourrissant de morues et lorsque celles-ci se dispersent, ils les suivent, alors que l’ours lui, il reste sur sa banquise. L’ours polaire peut aussi chasser le morse en se précipitant dans les groupes formés sur les plages, et consomme les individus écrasés ou blessés dans la panique, en général jeunes ou infirmes.

     Il a une mauvaise vue, mais un odorat très développé qui lui permet de localiser ses proies à des kilomètres.        

   L’ourse donne naissance à deux oursons, mais la moitié d’entres-eux meurent de faim. Une chose étonnante, mais néanmoins fréquente chez les mammifères marins : l’ovulation est différée, permettant une naissance à la bonne saison lorsque soleil et nourriture sont abondants, la maman allaite pendant un an, les jeunes restent avec leur mère jusqu’à l’âge de deux ans environ, ce qui fait qu’elle ne se reproduit que tous les trois ans.

 L’espèce, protégée au Svalbard depuis 1939, encore chassée au Groenland, se reproduit plus vite qu’elle ne disparaît. Aujourd’hui on pense qu’ils seraient 16000 à 20000 dans tout l’Arctique, dont 3000 rien qu’au Svalbard. Mais bien des menaces pèsent sur cette espèce, comme la diminution de la banquise qui constitue son territoire de vie et surtout la pollution multiforme qui se concentre dans l’Arctique.

             L’Ours polaire, dont le pelage clair est le camouflage idéal du chasseur dans un univers sans couleur,  est parfaitement adapté au froid et à la neige. Sur ses coussinets plantaires, de petites rugosités servent d’antidérapants, les griffes, courtes et massives, s’agrippent sur la glace et maintiennent une proie  glissante, l’absence de protubérances (petites oreilles, queue courte, etc…) limitent les déperditions de chaleur. Son épaisse couche de graisse le protège aussi du froid, un male peut peser 700 kgs et mesurer entre 1,80m à 2,60m de long.       

      L’ours est un solitaire, on peut le constater lorsque seul, il se promène sur la banquise, Les Inuit l’appelle « le nanouk »

     Ses commensaux (espèce qui se nourrit des déchets d’une autre espèce) sont la mouette ivoire et le renard polaire qui mangent les restes des carcasses.

 Il peut dans des occasions très précises attaquer l’homme !  C'est pourquoi Fabrice insiste sur le fait que, lors des sorties, nous devons toujours être derrière notre guide, celui-ci est armé.  Mais l’homme ne devra tuer l’ours qu’en dernier recours, en cas d’attaque par exemple,  il est conseillé d’abord de tirer en l’air pour l’effrayer. Tuer un ours est considéré comme un crime,  entraînant une enquête et si les consignes de sécurité n’ont pas été respectées au préalable, celui qui est à l’origine de cet acte sera exposé à de graves sanctions (amende et prison)

     Bon marcheur, mais aussi bon nageur, heureusement pour nous qu’à Karl XII, il n’a pas entrepris de plonger et nous suivre  mais s’il peut nager pendant une centaine de kilomètres sans se fatiguer, il nage tout de même moins vite (10 kms à l’heure) qu’un zodiac mis à pleine puissance.

      Quand il baille, et nous le voyons sur la photo de Jean !.. c’est qu’il est stressé, stress probablement provoqué par notre présence, aussi lors de notre sortie dans la banquise n’irons nous pas plus loin !

     S’ensuit l’intervention de Jean, photographe qui explique les diverses méthodes pour réaliser les meilleures images, notamment qu’il faut monter en iso si !..... on a la chance d’admirer une aurore boréale, le rêve absolu après avoir vu l’ours polaire !..

    Le déjeuner passé, nos responsables Sigi et Sava ouvrent la petite boutique du bord, proposant écharpes, sweats polaires, tee-shirt, tasses, clé usb, peluches, cartes…. Elizabeth propose à la vente les livres de Christian Kempf.Nos achats seront annotés sur notre chambre, de quoi faire des achats compulsifs….

    15h. C’est au tour de Nicolas de tout nous dire  sur les pinnipèdes, appellation signifiant "nageoires aux pieds" Pour faire plus simple, je dirais : phoques et morses. Fabrice faisant demain matin une conférence spéciale morse, je ne parlerais donc aujourd'hui que du phoque 

       ·        Le phoque. Au cours de la croisière, nous en verrons principalement de deux sortes : le phoque annelé et le phoque barbu. Ils vivent dans l’eau, le phoque se sert de ses griffes pour se hisser sur la glace. Lorsqu’il se déplace, sa démarche, ondulant telle une grande chenille, est peu gracieuse. Il se nourrit de morues, de crustacés, de mollusques, de crabes. Ses principaux prédateurs sont l’ours polaire, le requin du Groenland, l’orque et le renard arctique, auxquels il faut rajouter l’homme, car il est chassé par les Inuit. Son espérance de vie varie entre 20 et 35 ans.

           Les dangers pour ces phoques sont l’activité humaine, les projets d’extraction pétrolière dans la zone arctique, de même que le dérèglement climatique qui risque de faire disparaître leurs reposoirs naturels que sont les glaces flottantes, et la disparition progressive de leurs proies.

              ·        Le phoque annelé tire son nom de son dos gris foncé parsemé d’anneaux pâles. D’une longueur allant entre 1,20m et 1,65m et pesant 68 kilos il est l’un des plus petits de son espèce. Il vit sur la banquise et  y construit des trous de respiration, constructions qui sont la particularité de l’espèce. Largement répandu dans l’hémisphère nord, ils seraient 1 million.

              ·         Le phoque barbu est un animal solitaire qui préfère les packs de glace flottante à la banquise. Il possède un corps trapu et costaud, environ 2,50m pour 300 kilos, son  pelage est gris-marron. Son museau est orné d’une moustache fournie qui  lorsqu’elle est mouillée frise. La femelle donne naissance sur une place de glace flottante à un unique petit.

 

        Le temps de faire une petite sieste, et nous sommes conviés à 17 heures à regarder un film sur le Fram en salle de conférence.

         Le Fram, signifiant « en avant » en norvégien est un navire qui fut utilisé à trois reprises pour l’exploration polaire entre 1893 et 1912.

         C’est une goélette à trois mâts qui devait se laisser prendre par la banquise afin de dériver au-dessus du Pôle Nord. Le bateau présente une coque effilée avec des flancs faits en bois de chêne, d’une épaisseur de 80 cms, devant glisser hors de la glace en cas de pression, un gouvernail placé très bas pour ne pas être brisé par la glace, une cale divisée en trois compartiments étanches, un intérieur composé d’un salon et de 6 cabines, isolés avec du feutre épais, du poil de renne, des copeaux de liège et du goudron, d’un moulin à vent produisant de l’électricité, et d’une machine à triple expansion de 220 cv permettant une vitesse de 6 à 7 nœuds.

     Ce bateau est maintenant exposé dans un musée d’Oslo, navire que  j’ai eu la chance de visiter, il y a de cela quelques années, sans me douter à ce moment là que j’aurais exploré les contrées nordiques où, tant bien que mal,  il a navigué.

      Le documentaire nous conte ses trois grandes expéditions, à destination du pôle Nord, dirigées respectivement par Nansen, Sverdrup et Amundsen.

      Puis avant de dîner, Jonathan annonce la couleur. Le Groenland est immensément grand,  selon la carte des glaces et les bulletins météo fournis par le Commandant, il nous fait savoir que nous allons nous diriger vers la baie de Dove, que nous devrions atteindre en fin de journée demain.

    Retour à la cabine pour une nuit où je suis bercée par le roulis régulier de l’Ortelius,

     Marie-Madeleine ne tient plus en place. Pour elle  la baie de Dove est une des plus belles baies et malgré de nombreuses croisières à son actif, elle n’a pas vu celle-ci depuis une dizaine d’années, car toujours ostruée par les glaces. Elle me fait partager son enthousiasme et je suis sincèrement heureuse pour elle.

      Bonne nuit   et à demain, pour une seconde journée en mer

           Traversée Spitberg-Groenland