Vers la Baie de Dove

 

Première journée au Groenland.

                 Mardi 11 Septembre.  Sacrée Marie-Madeleine !  Elle a raison c’est certain, ça serait tout de même dommage de dormir alors que les majestueux paysages de la baie de Dove défilent ! aussi je me lève bien avant le jour, 4h30 pour être précise. Et loupé !... je finis par m’apercevoir, une fois sortie de la cabine, qu’en fait l’Ortelius est amarré, et qu’il ne navigue plus depuis 2 heures du matin, mais ça je ne le saurais que plus tard !

          La nuit est noire et sans lune, la banquise est bien formée et le vent est de 15 nœuds, prudemment le capitaine a préféré se mettre à l’abri dans la baie de Roseneathbugt, juste derrière la pointe de Haystack, bien avant de s’engager dans cette dite baie, tout au Sud. (point N° 9 carte itinéraire)




         Et alors, que fais-je moi maintenant, pour occuper les deux heures qui me séparent du petit déjeuner ?  dehors c’est  encore sombre, ci-contre photos prises à 5 heures, le panorama ne bouge pas. Et je n’envisage absolument pas de retourner me coucher pour si peu de temps.

      Hé bien, je me balade dans le bateau désert, allant de la passerelle à la salle de conférence pour finir au bar où j’y retrouve mon amie, je me sers un chocolat chaud, et ensemble nous attendons les premiers lève-tôt qui ne vont pas tarder.

          Les ponts sont ce matin glissants, aussi je ne m’y risque pas, car si je tombe à l’eau, qui à cette heure matinale s’en apercevrait !..

          Et effectivement, dès 7h, à l’appel du petit déjeuner, Jonathan fait l’annonce suivante :

         « Mesdames, Messieurs, votre attention s’il vous plaît ! On me fait savoir que ce matin une couche de
verglas a recouvert les ponts, alors soyez très très prudents, lors de vos déplacements ".

         Un peu plus plus tard, on assiste au rinçage de ceux-ci par les matelots.

         Au petit matin, à la lumière du jour, l’Ortelius reprend sa route à travers les glaces, et moi mon poste d’observation depuis, soit l’avant du pont 6, soit la proue du navire. Il fait très froid, un long nuage gris assombrit le paysage, les gouttes d’eau qui pendent du pont supérieur se sont transformées en fines stalactites.

        De temps en temps, montée à la passerelle pour me réchauffer, j’entends les ordres dictés à son second par le Commandant lui-même  « 2° à bâbord, 2° degrés à tribord » enfin ça c’est un exemple, parce que pour tout vous dire, je n’y ai rien compris ! c’est impressionnant, car la banquise n’étant encore que des morceaux de glace disséminés, il essaie de slalomer entre deux plaques.

        A présent le paysage est féérique, je la voie enfin cette banquise qui était attendue de tous ! s’y dessinent des amas de glace de toutes formes dans un dégradé de blanc, de gris et de bleu.

             


       Je me lance dans de l’art photographique, en tentant d’immortaliser ces plaques depuis les écoutilles du bateau.

     Puis voici un iceberg tabulaire aux dimensions impressionnantes. Jonathan nous dévoile tout sur celui-ci : de la forme d’une table, d’où son nom, il pèse 128 millions de tonnes et occupe un volume d’environ 160 millions de m3.

     C’est alors que Fabrice en veille à la passerelle depuis déjà un moment,  annonce qu’au bout de ses puissantes jumelles, il a vu un point rouge, une tache de sang qui laisse présager la présence d’un ours.

       D’après lui, celui-ci évolue de plaque en plaque, marche puis plonge, mais là encore je ne l’aperçois pas, il est beaucoup trop loin, il ne faudrait pas se séparer de ses propres jumelles, et encore ! très difficile parmi cette étendue à perte de vue de distinguer une silhouette blanche, silhouette, que dis-je !.. ce n’est alors qu’un point blanc, sur cette glace elle aussi blanche.

       L’Ortelius tente de s’y rapprocher un peu, mais Jonathan ne prévoit pas de sortie en zodiac, cet ours au bruit du bateau s’enfonçant dans son univers.

        Nous sommes à présent à proximité de la Pointe du Diable et approchons de l’île  Nanok (l’île aux Ours)


         

         Autour du navire, quelques phoques viennent marsouiner, prouvant que cette banquise est pleine de vie.

       Arrive l’heure du déjeuner, il faut se faire violence pour quitter ces majestueux paysages et rejoindre le restaurant.

         Pendant celui-ci, l’Ortelius a continué sa progression vers le fond de la baie, nous avons maintenant le Store Koldewey à tribord et la terre Adolf Jensen à bâbord. Le ciel est toujours bien sombre, contrastant  avec le blanc de cette glace, puis nous arrivons au niveau du Kap Peschel qui marque l’entrée de la baie de Dove. Sur les cotés du fjord, se dressent d’impressionnantes montagnes de gneiss datant de la formation du Groenland.

        J’éprouve des difficultés à prendre les photos, pas assez prévoyante contrairement a bien d’autres, qui ont deux paires de gants, dont une très fine leur permettant d’appuyer sur le déclencheur, je dois à chaque fois enlever mon épais gant de laine, pour le remettre immédiatement, tant j’ai froid aux mains. Un de mes compagnons m’a même fait part de son astuce : il a découpé le bout de son index sur sa première paire. J’ai encore à apprendre pour devenir une parfaite exploratrice ! 

     

         14h15. Je m’arrache à ce magnifique paysage pour assister à la conférence d’Anaïd qui va tout nous apprendre sur les différents composants de la banquise.  Ne pas confondre glaciers et banquises, nous dit-elle, celle-ci se forme en mer, lorsque la température de l’eau atteint -1,8°, alors que les glaciers sont de la neige tassée.

       ·     A cette température basse, des cristaux  de glace se forment et en se densifiant, ça devient le « frazil ». Une fois la surface gelée, l’eau de mer isolée de l’air, la banquise s’épaissit par adjonction de frasil jusqu’à atteindre environ deux mètres au cœur de l’hiver, les précipitations neigeuses qui s’accumulent à sa surface en accroissent l’épaisseur.

       ·     Les vents et courants rassemblent ce frazil en une couche appelée le « sorbet »

       ·   Si la mer est calme, le sorbet s'épaissit en une croûte plus épaisse et souple : le « nilas »          

             Lors de ces derniers phénomènes, il est déconseillé de sortir en zodiacs, le risque de se trouver emprisonné par les glaces est trop important.

                Cette glace va se solidifier assez rapidement, mais tant qu’elle n’atteint que quelques centimètres d’épaisseur, elle reste fragile et peut, sous l’action des mouvements de l’eau, se fissurer en plaques plus ou moins étendues, on se trouve en présence alors :

       ·     Des floes

      Lorsque la température augmente et que le vent souffle, la banquise s’ouvre, se fragmente, se brise en morceaux de plus en plus petits, ainsi morcelée, elle reçoit le nom de :

       ·     Pack.

      Mais il est aussi possible que les plaques se rencontrent provoquant des frictions, des chevauchements qui soulèvent des morceaux de glace atteignant parfois 5 m de haut, c’est ce qu’on appelle :

       ·    Une crête de compression.

         Les vents, les courants et les chocs avec les icebergs dérivants font, selon la théorie de la poussée d’Archimède (densité de glace de la banquise moins importante que celle de l’eau liquide) bouger la banquise, la fracture,

      ·     Les polynies. Ce sont des zones qui restent libres de glace, elles peuvent atteindre plusieurs centaines de km².

       Processus qui survient quand  l’eau plus chaude des eaux profondes remonte et rencontre les eaux froides de la surface, entraînant diminution et même interruption de la production de glace. Cette remontée de courants d’eau plus chaude est liée aux courants marins tels que, par exemple, une branche du Gulf Stream.

       Les polynies jouent un rôle important dans l’écologie de l’Océan Arctique, elles offrent une zone d’eau libre aux mammifères marins et aux ours blancs qui n’ont pas migré durant l’hiver. Et dans ces eaux, dès que le soleil apparaît, le plancton s’y développe, amorçant la chaine alimentaire qui permet à la faune arctique de se développer.     

        Anaïd parle aussi de ce réchauffement climatique, qui fait l’objet de bien des débats partout dans le monde. Les eaux de l’Océan se réchauffent, la banquise qui fond perd 89000 km² par an. A ce rythme, la région sera dépourvue de banquise d’été avant 2050. Les pluies devenant plus fréquentes que la neige auront des effets majeurs sur la végétation et la fonte des sols  gelés en profondeur.

          Alors bien documentée sur les différentes densités de glace, sur l’histoire de cette banquise, c’est avec un plaisir encore plus intense que je retourne profiter de ce paysage unique.

          Une seconde conférence animée par Fabrice est consacrée à la météorite tombée au Groenland il y a déjà un certain temps, j’avoue à ma plus grande honte  lui avoir préféré le spectacle du bateau se frayant un chemin parmi les plaques.

         La glace s’intensifie, à présent le bateau fait son travail de brise glace, on entend nettement le bruit des plaques qui se poussent au passage du navire, parfois même un « boum » le choc avec celle-ci. Nous naviguons très lentement, de l’ordre de deux nœuds  (entre 3 et 4 kms/h).

         18h30. Traditionnel récapitulatif de la journée. Celui là je n’ai pas l’intention de le zapper, car Jonathan y dévoile le programme du lendemain, programme qui est dépendant de la météo, de la carte des glaces, et du bon vouloir de notre chef d’expédition ! La carte des glaces change tous les jours, ce qui est colorié rouge indique une concentration élevée qui dérive ce qui est colorié gris est attaché à la côte, donc ne bouge pas.

         Puis c’est Fabrice qui nous parle de l’Ours qui  au Spitzberg, économise son énergie, mais qui au Groenland marche inlassablement dans cet environnement gelé. Il termine sa plaidoirie par un sympathique dessin.

        Jonathan ferme le récap en nous parlant du navire polaire, du brise glace, de la différence entre les deux. L’Ortelius, de classe 1A, est un navire polaire, son armature renforcée peut pousser des plaques de  banquise jusqu’à 1,25m d’épaisseur. Le brise glace à la proue renforcée est beaucoup plus puissant, jusqu’à 75000 chevaux, aujourd’hui il est nucléaire et fonctionne à l’uranium.

       Il nous dit  que là-bas tout au fond de la baie, aussi loin que nos yeux peuvent porter, c’est le « cimetière des icebergs » et pourquoi ce nom de cimetière ! ce sont des icebergs qui se sont fait emprisonnés par la baie et qui au lieu de se balader pénards au cœur de l’Arctique, au gré du vent,  y termineront lentement leur existence, en sédentaires. Pauvres icebergs !

        L’Ortelius cherche une petite baie qui sera protégée du vent pour nous abriter, car ce soir c’est dîner dehors !!! Barbecue à l’initiative  de l’équipe restauration sur le pont arrière du bateau, celui où il y a un grand H, pont hélicoptère qui n’a de fonction que le nom. Au menu : épis de maïs grillés, salade Coleslaw, saucisses, tranches de lard, cuisses de poulet, pomme de terre en robe des champs, condiments, verrine de crème, gâteau trois saveurs.

 


          

          Malgré les températures bien fraîches, l’équipe met le feu, musique à fond, sur laquelle quelques uns des passagers entament un madison, pourvu que les voisins ne portent pas plainte !..  ….

    

    

          

          Avant de regagner ma cabine, je me promène sur les ponts pour admirer encore, encore et encore une fois ce lieu arctique qui va nous servir de décor pour la nuit, et hop dodo !  car si la journée a été longue, debout depuis 4h30, la nuit va être courte car demain Jonathan va sonner le clairon à 5h45 !


            Baie de Dove