Mardi 23 Janvier : Bénarès (point 9 carte itinéraire)            

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Il est des villes – telle Bénarès – encore tellement imprégnées de prière, malgré l’invasion du doute moderne, que l’on y est plus qu’ailleurs libéré d’entraves charnelles, et plus près de l’infini.     Pierre Loti

 

       6 heures du matin, le car nous dépose au bout de la rue Dasahwanedh Road. Nous ne sommes plus qu’à 400 m du Gange... comment allons-nous vivre ce que nous allons voir dans si peu de temps ? nous avons bien sûr vu des films et des photos mais la réalité doit être drôlement impressionnante !!! Tout à nos pensées, nous parcourons cette distance, déjà beaucoup de pèlerins convergent vers les ghâts. Sans doute aussi plus de monde qu’à l’accoutumée, certains des pèlerins profitant de leur venue à Allahabad pour venir jusqu’à Bénarès, en effet dans cette ville vient de débuter le pèlerinage « l’Ardh Kumbh Mela ».

 

       L’Ard Kumbh Mela est une fête religieuse qui a lieu tous les douze ans, la date précise est déterminée par des méthodes astrologiques, basées sur les positions du Soleil, de la Lune et de Jupiter, ainsi en 2007 elle a commencé le 3 Janvier et durera 42 jours.

       Allahabad dont le nom antique est Prayag est une des quatre villes saintes, située au confluent des trois fleuves saints : le Gange, la Yamuna et le Saraswati. Ce serait également dans cette ville que Brahma, le dieu hindou de la création aurait offert son premier sacrifice après avoir créé le monde.

        Près de 70 millions de personnes venues de toute l’inde ont bravé les rigueurs de l'hiver pour laver leurs péchés dans l'eau glacée du Gange, cette fête est considérée comme l’un des plus grands rassemblements au monde.

 

       Pendant quelques instants j’imagine tous ces gens sur les routes !! ça me fait un penser à un exode

        « L’agitation dans les villages, les ermites sortant de leurs grottes nus et barbouillés de cendre, les cortèges de moines, des infirmes, des lépreux, des suites de rajahs, des coches bondés de femmes cachées par des rideaux blancs, sans oublier les trains remplis de citadins. Toute cette foule réunie dans un seul but : la soif de sainteté, ce sont les pèlerins de la Kumbh Mela »  (source Wikipédia)

 

       Dasahwanedh Road : il fait encore nuit, malgré cela la ville est déjà réveillée, les marchands ambulants trimballent leurs étals de légumes et de fruits, ici un feu pour se réchauffer de la nuit passée dehors, là des enfants dormant au milieu de pommes de terre, là encore une vingtaine de  mendiantes assises côte à côte à même le sol, leurs coupelles devant elles, et bien sûr.... la vache couchée au milieu de tous ces gens.

  

       6h30 nous approchons de ce fleuve mythique : le Gange..... Du haut d’un vaste escalier nous découvrons le « Dasahvamedha Ghât » le plus grand ghât et le plus facilement accessible, il est bondé. Des hauts-parleurs distillent des chants sacrés (bhajans) repris par les pèlerins « Har Har Mahadev » ! (Gloire soit à Shiva) et « Ganga Maiya ki Jai » (Gloire soit à Ganga la Mère) l’émotion est au rendez-vous ! Nous prenons place dans une des barques, la promenade sur le fleuve sacré débute avec les premières lueurs de l’aube dans un calme étonnant, habitués que nous étions aux klaxons permanents de la ville.
       La barque longe, à distance raisonnable, les rives sur lesquelles sont aménagées les marches (ghâts)  permettant aux hindous de descendre à l’eau, nous remontons sur l’amont jusqu’à Harish Chandra Ghât, autre lieu de crémation, mais moins important que Manikaranika. Harish Chandra  a été 
légèrement modernisé dans les années 80, un crématorium électrique y a été ouvert.



       Plus de 100 ghâts bordent la rivière sacrée sur cinq kilomètres, servant aux bains et ablutions, ils se succèdent et sont signalés par des panneaux bilingues hindi-anglais.

       Le plus vieux ghat : Manmandir Ghât construit en 1600, beau balcon de pierre, en 1710 le maharadjah de Jaipur Jai Singh II, y installa sur le toit un observatoire astronomique.

         Le Prayag Ghât, on y voit un tombeau hindou peint d’un ocre profond, devant celui-ci une plate-forme abritée par des parasols en rotin, où s’installent les hommes saints qui guident les pèlerins dans leurs rites de vénération.

          Rana Mahala ghât.

         Kedar Ghât : construit par le maharaja de Vijayanagar , temple dédié à Shiva.

       Dashashwamedh Ghât : Le ghât le plus visité de Varanasi par les pèlerins religieux, à coté se trouve le « temple de Vishwanath » célèbre et d’une grande importance religieuse.

 

         

 

       En amont nous voyons un homme barbu (un mage ?) qui médite debout sur une plateforme, les dhobis (blanchisseurs) qui passent la journée à laver le linge, puis repassons devant le Dasahvamedha Ghât, celui où des centaines et des centaines d’hindous y viennent faire leurs ablutions, sans même prêter attention aux dizaines de touristes qui sont là pour les photographier, les filmer ou simplement les regarder !  

       L’instant est magique, c'est un spectacle hallucinant que de voir cette vie grouillante au bord du fleuve. A Bénarès la foi efface toutes les distinctions, il y existe une étrange cohabitation. Femmes aux saris colorés selon les régions, gens de différentes communautés, de basses et hautes castes, sâdhus, sages en méditation, paysans illettrés, femmes au foyer et brahmanes érudits, veuves tout en blanc et nouveaux mariés arborant des couleurs vives, se baignent côte à côte, font leurs ablutions en chantent ensemble des chants sacrés. Cet immense mélange nous fait prendre conscience de la puissance de la religion.

 

 

       Les femmes s’immergent partiellement vêtues, ce sont elles aussi qui recueilleront dans de jolis récipients d’argent un peu d’eau du Gange, dont la moindre goutte est sacrée, pour ramener à leur famille et leurs amis, et pourtant... il n’y a pas plus polluée que l’eau du Gange. Les ghâts bourdonnent d’activité, sous de grands parasols, se développe toute une vie sociale, religieuse et commerciale. On y voit des prêtres, le front marqué de santal et de vermillon, proposant leurs services aux gens qui viennent ici faire un vœu ou se laver de leurs péchés, des vendeurs de fleurs, des barbiers, des astrologues.... Le Gange lui-même offre une autre sorte de spectacle : le va et vient incessant des touristes installés dans d’innombrables barques, la vue est magnifique, tous ces saris colorés.... le lever de soleil à la fois sur le Gange et sur les ghâts..... un vrai bonheur qui sera trop court à mon goût !

 

       Les rites du pèlerin : les ablutions se font au soleil levant, les pèlerins doivent se baigner en cinq endroits différents. L’hindou religieux doit suivre ce rite chaque matin : prononcer le mantra sacré, s’immerger complètement trois fois de suite, et boire une gorgée d’eau du Gange dans sa main. Certains ghâts sont particulièrement sacrés.

             

       Benarès « ville éternelle » La ville vivante la plus ancienne dans le monde est construite sur une falaise, à 100 m au-dessus du fleuve, elle prend son nom de la confluence de la Varuna, de la rivière Asi et du Gange, donnant ainsi Varanasi. Son nom est également dérivé de Kashi (Roi Kash, de la race lunaire, ancêtre mythique des Hindous)

       Le Gange est Samanyadhatri, la Mère nourricière, sustentrice de tous les êtres vivants. « Le simple son du mot Ganga est un acte pieux, se baigner dans son eau et la boire apporte le salut pour sept générations, et au moment où les cendres des morts touchent l’eau, l’âme est transportée au paradis. » Ainsi dit le Mahabharata....

       Bénarès ne vit que pour le Gange fleuve sacré, chaque journée commence et finit selon un rite immuable : réveil à 5 h par les chants des prêtres, prière et lavage dans le fleuve sacré avant de commencer la journée de travail et à 19 heures : la Puja, cérémonie du culte au Gange, pendant laquelle s’élèvent les chants sacrés et a lieu l’offrande de la lumière du fleuve.

 

 

       La barque avance doucement sur le fleuve, longeant les rives du Gange. On y aperçoit de nombreux palais que se firent construire du temps de leur splendeur les maharadjahs et princes hindous, qui tenaient absolument à avoir une résidence à Varanasi, ceux-ci sont maintenant abandonnés et se dégradent.

 

 

       Pour nous Occidentaux, le Gange s'apparente plutôt à une énorme décharge publique, vrai bouillon de culture à l’air libre. On s’y lave avec savon et shampooing, on y lave le linge, s’y brosse les dents, balance les poubelles, s’y baigne. Mais pire encore c’est lui qui réceptionne les cendres des corps incinérés, les cadavres qui ne seront pas brûlés parce que « purs » comme les sâdhus, les nouveau-nés, les malades morts de variole, les victimes de serpents. Les vaches et les buffles n’hésitent pas non plus à y faire trempette. Les eaux usées se jettent dans la rivière Varuna, un affluent du Gange. Les microbes aussi doivent être sacrés, faut croire !

       « Aucun microbe qui se respecte ne saurait vivre dans une eau pareille. »

Mark Twain

 

        

 

       Le terminus de notre promenade en barque sera le « Manikarnika Ghât » le plus sacré d’entre tous et probablement le plus ancien de la ville. C’est sur ce ghât que se trouve le puits sacré de Shiva où l’on jette des tonnes de fruits, de fleurs... (Shiva creusa ce puits pour retrouver une boucle d’oreille que Pârvati, son épouse, avait perdue)

 

       C’est ici qu’ont lieu la majorité des crémations, impossible de les décrire en quelques lignes, j’ai préféré y consacrer une page. Depuis la barque on les imagine sans peine en voyant la fumée qui s’en dégage en permanence, plus on s’y approche plus une étrange sensation nous envahit.
       Notre guide nous prévient : les photos a proximité y sont strictement interdites, il nous autorise à en prendre quelques unes (rapidement !!) de la barque, ce qui sera possible mais avec un zoom assez
puissant.... Une fois sur la terre ferme nous accédons à une petite terrasse située à une dizaine de mètres du lieu de crémation (endroit prévu pour les touristes semble-t-il !) et y restons quelques instants, envoûtés et scotchés.



 

        Les « burning ghats » sont impressionnants, mais sans coté morbide, les corps ne sont pas visibles car   complètement « entourés » par le bois. Il y règne une ambiance sereine face à la mort, les hindous ayant la certitude que le feu finit le cycle de la réincarnation pour atteindre le nirvana. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la fumée ne dégage pas d’odeur nauséabonde, cela provient sans doute du bois qui est utilisé (du santal pour ceux qui en ont les moyens).

 

       Tout autour des monticules de bois servent à alimenter les bûchers. Les nombreuses marches pour arriver au « Chowk » sont recouvertes de cendres mais aussi de nombreux excréments, attention donc où l'on met les pieds... Puis c'est la balade parmi le labyrinthe de ruelles (galis) du bazar du chowk, échoppes avec un nombre étonnant de produits divers : fruits et légumes, sucreries, les poudres d’épices,  poivre et piments  s’y amoncellent.  Les boutiques de la taille d’un placard sont débordantes de soie, d’objets d’art, d’effigies religieuses et de fleurs, des femmes coulent des bougies qui serviront pour l’offrande au Gange. Tout le symbole de l’Inde.

 

       On arrive ainsi au temple de Vishavanath, appellé aussi Temple d’or en raison de la couleur dorée de ses dômes. Jalousement caché au plus inextricable entrecroisement des ruelles sombres du Chowk, on ne le voit presque de nulle part, tant il est enveloppé.. Très difficile cependant d’y approcher, à l’entrée de la ruelle d’accès au temple, fouille obligatoire par des militaires armés, femmes à gauche, hommes à droite, passage sous une Golden Templeporte magnétique... Sacs, appareils photo, caméras, portables mais aussi briquets, cigarettes, crayons, peignes !! ........  sont strictement interdits, ceux-ci seront confiés à la boutique adjacente, nous ne garderons avec nous que nos papiers regroupés dans une petite pochette en plastique transparente. Quelques minuscules échoppes d’objets pieux et de fleurs le long du gali qui mène au Temple.

 

       Temple de Vishavanath : le temple le plus sacré de la ville, consacré à Vishveswara-Shiva comme seigneur de l'univers, construit en 1775 il est une copie de l’original, celui-ci ayant été rasé en 1194, reconstruit en 1585 et détruit par Aurangzeb en 1669. (Aurangzeb, le grand moghol et musulman fanatique, vous vous souvenez ? le gentil fils de l’empereur Shah Jahan qui emprisonna son père au fort Rouge d’Agra !! ) Les flèches en laiton ont été recouvertes de 820 kilos d’or d’où son nom. Il est supposé contenir le ligam de Shiva.


 

        Notre guide nous expliquera que cette méfiance et ces mesures de précaution viennent du fait qu’une mosquée musulmane a été construite enserrant le Temple d’Or, or il y a encore beaucoup de tensions entre musulmans et hindouistes, le vol ou la destruction du lingam de Shiva par les musulmans est redouté. Cette pseudo visite a été très frustrante, car malgré les conditions d'entrée pour le moins désagréables, nous n’en ferons finalement que le tour, apercevant tout juste les dômes d’or, ce temple étant interdit aux profanes que nous sommes.

 

       9h30, déjà près de quatre heures que nous sommes à nous balader dans Bénarès, nous apprendrons une fois installés dans le car que les cars de tourisme sont interdits dans l’enceinte « sacrée » de la ville après 8h30, ah ces français, toujours à la traîne !!!!!! il est très probable qu’un petit batchich de la part du chauffeur auprès des policiers, les aura convaincus d’un peu de patience...

 

       Traverser le vieux quartier du Chowk de Bénarès n’est pas chose facile, se frayer un chemin parmi cette foule colorée, ne pas se perdre dans ce fouillis de ruelles entrelacées, essayer d’immortaliser tous ces instants...

 

        Après le déjeuner pris à l’hôtel, nous retournerons  en rickshaw dans les rues de Bénarès et assisterons à l’offrande au Gange : "la Puja" cela promet d’être magnifique.

 

 

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